À Jules Janin.

Bruxelles, 24 mars 1852.

Tout de suite un mot pour vos quatre pages. Votre lettre m’a trouvé écrivant à la France et à la postérité (j’espère, car la chose en vaut la peine), l’histoire de cet homme. — Est-ce un homme ? — Je m’interromps pour vous serrer la main. Si vous saviez quel bonheur c’est pour un exilé, — c’est toujours un peu sombre, l’exil, — de recevoir un rayon d’un charmant grand esprit comme vous. Vous me racontez mon avenir et mon avenir en de tels termes qu’il me semble que je le tiens, et cela me suffit. Oh ! si j’avais ma femme et mes deux autres enfants, et quelques amis dont vous êtes, cher Janin, et un peu de ciel bleu, et paulum sylvae super his foris, je ne demanderais rien, je ne regretterais rien. Quoi, pas même la France ! Hélas ! est-ce qu’il y a une France à présent ? Où est-elle ? Ma patrie, mon Dieu, montrez-la moi. Il n’y a pas pour moi la patrie, là où il n’y a pas la liberté. — Vous avez du reste raison de ne pas me plaindre, cher ami. — Dans le triomphe de la violence inepte sur la liberté, dans cette expulsion de l’intelligence par la force brutale, j’ai été choisi, parmi tant d’hommes qui valent mieux que moi, pour représenter l’intelligence, choisi, non par le Bonaparte qui ne sait ce qu’il fait, le pauvre imbécile, mais par la providence que je remercie. Quel immense honneur pour moi ! Enviez-moi tous, je vous représente !

Je ne veux pas que votre ami quitte Bruxelles sans vous porter ce bonjour. Il vous dira qu’il m’a trouvé, ma fenêtre ouverte sur la grande place où d’Egmont et de Horn ont été décapités, et ayant en face de moi ce vieux balcon de l’Hôtel de Ville, où venait s’accouder le duc d’Albe, dont la vilaine âme habite peut-être aujourd’hui Louis Bonaparte ; il vous dira comme votre lettre m’a charmé. Je lis avidement tous vos ravissants poëmes du lundi, vous improvisez comme les autres sculptent. Votre style est une volupté de mon esprit. À bientôt, en dépit de tout. À toujours. Je serre tendrement la vaillante main qui tient votre vaillante plume.

Tuus.

Victor Hugo.

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