À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, 8 mars [1852].

Ne te plains pas de nous, chère amie, ne te plains pas de moi surtout, qui pense sans cesse à toi et à vous tous ; ce qui nous manque pour t’écrire, ce sont les occasions. Tu en jugeras par ce mot du 27 février que M. Coste devait te porter. Il n’est pas parti. C’est au contraire Berru qui est venu le rejoindre. Ce pauvre Berru est condamné à la déportation par ces drôles. Depuis ce jour-là, pas d’occasion pour Paris. Tout à l’heure on me fait dire qu’il y en aura une pour midi. Il est onze heures et demie. Je te griffonne bien vite ce mot. À la première occasion que je saurai seulement la veille, je t’enverrai une longue lettre, et j’écrirai aussi à tous. Je travaille toujours ardemment, et je suis toujours un peu ennuyé d’avoir à refaire à cause des nouveaux détails ou des renseignements contradictoires qui m’arrivent. Somme toute, le livre sera curieux jusqu’à l’étrange. J’écoute, j’interroge, je note, je confronte, je me fais l’effet du greffier de l’histoire. Un journal d’ici, le Sancho, disait ceci l’autre jour :

« Aussi la France n’est plus à Paris, elle est à Bruxelles avec Victor Hugo, le grand poëte, le profond penseur, à qui Dieu et la France semblent avoir remis le soin de venger un grand peuple en marquant au front, d’une parole ineffaçable et vengeresse, l’escamoteur du 2 décembre. »

Charles de son côté depuis quelques jours m’a demandé du papier ; je ne le lui ai pas marchandé comme tu penses, il s’est enfermé dans sa chambre, et je crois qu’il travaille. J’ai vu sur sa table des feuilles offrant l’aspect de choses dialoguées. J’en conclus qu’il fait peut-être une pièce. Auguste m’a écrit une bien bonne et bien charmante et bien belle lettre, remercie-le. Le quatrain a fait notre joie. En attendant que je lui écrive, cause avec lui du cautionnement. Je ne crois pas que l’Événement puisse renaître sous quelque forme que ce soit. Il faudrait donc retirer le cautionnement. Il y a là 6 000 francs dont nous pourrons avoir prochainement grand besoin, et qui, dans tous les cas, seront mieux dans nos mains que dans les mains du Bonaparte.

Chère amie, on me rappelle l’heure, il faut que j’écourte cette lettre. J’ai pourtant encore des bonnes choses plein le cœur. Distribue-les à tous comme si je te les envoyais. Devine tout ce que je dis de tendre à mon Toto et à ma Dédé, et dis-le leur. Enfin fais-toi à toi-même mille tendresses et à nos chers bons amis Auguste et Meurice et prie madame Meurice de supposer que je lui baise humblement la main. — J’ai reçu une fort gracieuse lettre de madame Lucas. Je lui répondrai par le prochain courrier. — Encore mille baisers.

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