À Madame Victor Hugo.

17 mars [1852] Bruxelles.

C’est madame Chambolle qui a la bonne grâce de te porter ce petit mot, chère amie. Ne gronde pas Charles s’il n’y a pas de lettre de lui. Il est sorti en ce moment, et je reçois à la minute l’avis de départ de Mme Chambolle pour Paris. Il n’y a donc pas de sa faute.

Charles ne travaillait pas, et perdait son temps. D’un autre côté il me disait : j’ai besoin de gants, de fiacres, d’argent de poche, etc. J’ai fait avec lui un arrangement : je lui donnerai 50 francs par mois pour son superflu personnel ; lui, de son côté, se lèvera tous les matins comme moi à huit heures et travaillera près de moi jusqu’à onze heures. Moyennant ces trois heures, je le tiendrai quitte de tout autre travail le reste du jour. Il a accepté avec enthousiasme ; il s’est levé et a travaillé le premier jour et le second jour ; mais déjà cela ne va plus que faiblement. Hier il a travaillé une demi-heure, et aujourd’hui pas du tout. Je l’ai un peu grondé, il s’est d’abord exclamé, comme tu sais, puis il a compris, et j’espère qu’à partir de demain la régularité reviendra. Ces 50 francs par mois me gêneront, mais j’aime mieux qu’il ne fasse pas de dettes et qu’il travaille un peu. Tu m’approuves, n’est-ce pas ? Oh ! que je voudrais t’avoir là et que j’aurais besoin de toi pour le remonter de temps en temps ! Du reste, ne le gronde pas pour tout cela. Il va peut-être enfin s’y mettre. Fais comme si je ne t’avais rien dit.

Il inclinerait vers les petits proverbes, vers les petits vers, vers les choses faciles et stériles, vers les collaborations de Dumas, ce qui est pire. Je le retiens et je le tourne vers les travaux sérieux et qui peuvent servir ses idées et son avenir. J’insiste pour qu’il fasse son livre de la Conciergerie. Parle-lui-en de ton côté.

Quant à moi, tu vois d’ici ma vie. Elle est toujours la même : levé à huit heures — travail — déjeuner à onze — ce n’est plus du chocolat. Charles a préféré une côtelette, — réception jusqu’à trois heures — travail jusqu’à cinq — dîner à la table d’hôte avec Charles, Dumas, Noël Parfait, Bancel, etc. — Visites jusqu’à dix heures — dix heures, travail jusqu’à minuit. Je dîne dehors quelquefois, mais rarement. Il y a ici une bonne vieille polonaise riche, madame de Laska, qui adore Charles. J’y ai dîné une fois. La semaine passée, j’ai dîné avec Girardin, Quinet et Dumas, chez un éditeur d’ici, M. Muquardt dont je t’ai déjà parlé. Les libraires d’ici ont peur de mon livre du Deux-Décembre. Je serai évidemment obligé de ne le publier qu’à Londres. Du reste, l’important est de le faire. Il est certain qu’il sera publié. Comment, par qui, peu importe.

Remercie bien Mme Chambolle, si tu la vois, chère amie. Je t’envoie les plus tendres baisers de Charles et de moi. — Écris-nous bien vite et bien long.

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