À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, 17 janvier. Samedi.

Je n’ai qu’une minute, chère bien-aimée femme. Je t’écris par la bonne de Schœlcher, vieille femme qui a du courage comme dix jeunes hommes et qui l’a prouvé. Elle te contera son histoire et te remettra pour moi une lettre d’elle que tu me feras passer par la plus prochaine occasion. Tout continue d’aller ici passablement. Toute la presse libérale est pour nous et vivement. Je t’en envoie des extraits à propos de mon bannissement. Une foule de journaux par toute la Belgique ont reproduit mon discours de 47 sur la rentrée des Bonaparte. Cela fait ici grand effet. Je pense avec bonheur que mon Charles va venir et que je le verrai dans une quinzaine de jours.

Il était allé au bal de l’Opéra. Les journaux jésuites d’ici l’ont dit. Chers enfants, prenez garde à cela. Espionnage à Paris, diffamation au dehors.

Je suis convaincu que Charles ici sera un homme.

Probablement j’arriverai à construire une citadelle d’écrivains et de libraires d’où nous bombarderons le Bonaparte. Si ce n’est à Bruxelles, ce sera à Jersey. Hetzel est venu me voir. Il a un plan d’accord avec le mien. D’un autre côté, la Belgique se tournera, je crois, vers nous, pour sauver sa librairie. Je t'envoie deux pages d’une brochure. Lis et fais lire à la Conciergerie. C’est un symptôme.

Hetzel me disait hier qu’on vendrait au moins 200 000 exemplaires d’un livre intitulé : Le Deux-Décembre, par Victor Hugo.

Quand tous quatre seront libres, je songe à des travaux collectifs. L’Événement, pourquoi pas ? Une librairie politique à Londres, une librairie littéraire à Bruxelles, voilà mon plan. Deux foyers, et notre flamme les alimentant tous deux.

Pour réussir à mener la chose à bonne fin, il faut vivre ici stoïque et pauvre et leur dire à tous : Je n’ai pas besoin d’argent ; je puis attendre, vous voyez. — Qui a besoin d’argent est livré aux faiseurs d’affaires, et perdu. Vois Dumas. Moi, j’ai un grabat, une table, deux chaises. Je travaille toute la journée et je vis avec 1 200 francs par an. Ils me sentent fort, et les propositions me viennent en foule.

Quand nous aurons conclu quelque chose, vous viendrez et nous rétablirons l’aisance de toute la famille. Je veux que vous soyez tous heureux et contents, toi, ma femme, et toi chère fille aussi. Vous tous enfin !

Il me semble que Meurice, Auguste, Charles et Victor pourraient faire, à eux quatre, une Histoire depuis Février 48 jusqu’au 2 Décembre.

Distribuez-vous le travail. Chacun fera sa part ici. Nous travaillerons sur la même table, avec la même écritoire et la même pensée.

Je te remercie de la causeuse, j’en ai besoin, et je vous envoie à tous, Tour-d’Auvergne et Conciergerie, toutes les tendresses du proscrit satisfait.

Je vous répondrai à tous par le prochain courrier. En attendant, écrivez-moi tous de longues lettres. Chère amie, ne manque pas de bien remplir les pages. — À propos, j’ai vu cette immondice qu’il appelle sa Constitution !

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