À Madame Victor Hugo.

Bruxelles, 30 mai.

Je te réponds tout de suite, chère amie, et tu auras cette lettre demain matin. Je l’envoie directement pour ne pas perdre de temps. Tout ce que tu as ébauché est très bien, continue, il est impossible de mieux faire. Chère amie, j’ai le cœur serré de penser que tu es seule là-bas et qu’il faut que tu obvies à tant de choses et d’affaires à la fois. Mais, de mon côté, tu le sais, je travaille, je ne perds pas une minute.

Victor a écrit hier à Charles. Le pauvre enfant est frappé de quelque malheur, tu dois savoir ce que c’est. Il me demande de le recevoir ici. Nous lui avons écrit de venir tout de suite. Je pense qu’il nous arrivera mardi matin. Nous tâcherons de l’occuper et de le consoler. Mais tu vas être encore plus seule. Cela me fait hâter plus encore le moment où nous serons tous réunis, moment bienheureux, tu verras !

J’ai vu M. Piddington le lendemain de ton départ ; j’ai rectifié ses idées. Il a paru comprendre. J’ai écrit à T.-C. une lettre dans le même sens. Je n’en crois pas moins l’affaire manquée, et je me tourne d’un autre côté. J’ai même trouvé moyen de tirer parti de cette déconvenue. C’est un mal dont il sortira peut-être un bien. Quoi qu’il en soit, je me lève de grand matin et je fais force de rames.

Tu verras sans doute Jules Janin. Dis-lui que Mme Guyon m’a remis sa belle, sa bonne, sa charmante lettre ; que je lui répondrai par le retour de Mme Guyon, et avant, si elle tarde ; que je le savais déjà un grand et bel esprit et qu’il s’est révélé à moi comme un des plus nobles cœurs, et remercie-le. Remercie aussi notre bien cher Théophile qui devrait bien aller à Constantinople par Bruxelles afin que je lui serre un peu les deux mains.

Vois les propriétaires. Tâche de résilier le bail à l’amiable. Ce serait la meilleure solution. Je t’enverrai prochainement une liste estimative du minimum auquel il faudrait vendre certains meubles et au dessous duquel il faudrait les retirer. Du reste, je pense comme toi qu’il faut tâcher de ne rien ôter de la vente. — Tu ne me dis pas s’il t’a été fait quelque difficulté à la douane pour le plat de cuivre. Je t’enverrai aussi l’adresse où tu pourras faire porter et serrer les meubles réservés. On en aura très grand soin. Je t’ai déjà dit où. C’est près de la maison. — Ne pas vendre, cela va sans dire, les deux fauteuils aux armes de mon père.

Aie bien soin de mes manuscrits d’ouvrages publiés. Il y a encore là quelques petits manuscrits inédits, entre autres un acte d’Angelo. Je te le recommande. Je te recommande tous les papiers, aies-en grand soin. Beaucoup peuvent être écrits par moi. Mets aussi de côté et rapporte moi quatre ou cinq rouleaux de copies de mes manuscrits inédits qui sont dans l’armoire de laque venant de ton père. Ne vends pas les étoffes non employées, surtout le satin de Chine à fleurs d’or. Tu trouveras dans le grenier un exemplaire complet du grand ouvrage d’Égypte donné autrefois par le ministère de l’Instruction publique. Il est neuf et complet, cartonné. Cela se vend très bien. Du reste ne vends aucun livre excepté celui-là. Si pourtant quelque guetteur se présentait, fais m’en part.

Hetzel est venu hier. Je verrai ses propositions. Tu fais bien d’ajourner Gosselin jusqu’à ce que j’aie vu ce qu’il y a du côté d’Hetzel. Voici le mot pour M. Ridel. Mets sous enveloppe et envoie.

Chère bien-aimée, cette lettre est affaires d’un bout à l’autre. À peine ai-je pu te dire un mot de mon cœur. Tu m’es nécessaire, entends-tu bien. Tu as été grande et admirable dans toutes ces traverses. Ne doute pas une minute, ni du présent, ni de l’avenir. Tu verras comme nous ferons un petit groupe heureux à Jersey. Nous t’embrassons bien tendrement, Charles et moi. Si Jersey traînait en longueur, tu viendrais nous rejoindre à Bruxelles. Dis à Victor que sa chambre (la tienne) est prête.

Chère femme, chère fille, je vous aime. Vous êtes mon bonheur et ma joie. Presse le procès.

Mes plus tendres amitiés à Paul Meurice. Auguste est-il de retour ?

Tâche que l’article de Charles passe. Cela lui donnera de l’argent d’abord, et puis du cœur au ventre.

Je vais prendre Victor avec moi et me charger de sa dépense. Ce sera une petite somme à défalquer sur ce que je t’ai remis. 80 francs par mois.

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