À Madame Victor Hugo.

25 juillet, dimanche matin.

L’imprimeur sort d’ici, chère amie. Le livre paraîtra mercredi ou jeudi au plus tard. Il faut donc que tu partes sitôt cette lettre reçue. Rends-toi directement à Jersey, à Saint-Hélier, qui est la ville principale. Il doit y avoir là de bons hôtels. Tu t’y installeras (après y avoir fait prix en arrivant, car il faut toujours dans les hôtels savoir d’avance ce qu’on dépense) et tu nous attendras. Charles n’a pas fini son livre, mais il est déterminé à partir avec moi. Je pense que nous serons à Jersey vendredi ou samedi au plus tard, notre intention étant de brûler Londres. Je compte bien que Victor t’arrivera avec nous, cependant nous n’avons pas encore de lettre qui nous annonce son arrivée, et nous l’attendions pour aujourd’hui. Je vais lui écrire et lui dire de venir sur-le-champ. J’espère qu’il ne résistera pas à une lettre de moi. J’ai gardé cela pour la fin. Jusqu’à présent, c’est Charles qui lui a écrit.

Chère amie, la semaine ne s’achèvera pas, je l’espère, sans que nous nous revoyions et que nous soyons réunis. Ce sera une bonne et vraie joie, la première depuis ces sept mois d’exil. Ma chère petite Dédé, que j’aurai de bonheur à t’embrasser !

Les incidents se sont multipliés et se multiplient encore, et un violent orage bonapartiste gronde autour du livre. C’est tout simple. Je te conterai les détails là-bas.

Vous avez dû passer huit beaux et bons jours à Villequier. Une partie de mon cœur est ensevelie là. Chère bien-aimée, tu as été voir notre Didine et son Charles, tu as prié pour toi et pour moi, n’est-ce pas ?

Comme il faut tout prévoir et que des incidents peuvent nous retarder, si par hasard nous n’étions pas à Jersey à la fin de la semaine, ne t’inquiète pas. Je crois pourtant fermement que nous y serons.

Mes co-proscrits ne voulaient pas me laisser partir. Trois députations sont venues me trouver à ce sujet. Je leur ai fait comprendre que mon expulsion forcée (inévitable) serait de l’honneur pour moi, et de l’amoindrissement pour eux. Ils n’ont plus insisté, mais je vois avec plaisir qu’ils me regrettent et que tous (à peu près) m’aiment et se grouperaient volontiers autour de moi. Il sera bon peut-être pour la démocratie que je sois un jour drapeau. Je sais ce que je veux et je ne veux que le bien.

Remercie avec effusion madame Vacquerie et madame Lefèvre qui, je pense, est peut-être à Villequier. Je suis heureux de sentir un si cordial accueil et de si tendres amitiés autour de toi.

J’espère que je trouverai Auguste à Jersey, et ce que tu me dis de la visite qu’y feront Paul Meurice et sa charmante femme, m’enchante. Nous aurons là peut-être quelques douces journées, en dépit des tempêtes qu’on fait autour de mon nom.

Erdan est ici. Je lui ai donné à dîner hier. Ponsard est venu me voir. Janin est venu et a pleuré en m’embrassant. Je crois du reste que je laisserai une bonne trace ici et un souvenir respecté. On va publier mes discours complets. Je n’ai plus de place que pour t’embrasser et ma Dédé avec tout ce que j’ai de plus profond dans le cœur. Charles fait comme moi.

Le roman de Charles est charmant. Les 6 000 francs sont-ils rentrés ?)

Share on Twitter Share on Facebook