À Madier de Montjau.

Jersey, 29 août [1852].

Je vous écris du bord de cette admirable mer, qui est en ce moment d’un calme plat, qui demain sera en colère et brisera tout, — et qui ressemble au peuple. Je regarde ce miroir qui est comme de l’huile, et je me dis : qu’un vent souffle, et cette eau plate deviendra tempête, écume et furie. — Cher ami, tâchons de faire souffler le vent.

Tâchez donc de venir à Jersey, avec votre noble et charmante femme. Vous y serez bien, je vous jure : ma femme embrassera la vôtre, j’ai une terrasse au bord de la mer où vous viendrez le soir, nous causerons, et nous regarderons la France à l’horizon et la république dans l’avenir. Nous laisserons nos âmes s’envoler vers ces deux patries.

Tout va bien. Force gendarmes et mouchards à Saint-Malo, les voyageurs fouillés jusqu’aux bottes, les pêcheurs de Granville bouleversés de la façon dont on visite leurs paniers, le sous-préfet faisant la grosse voix, menaces de prison à quiconque passera Napoléon-le-Petit ; une terreur énorme de ce petit livre. Pourtant, il n’est pas encore à Jersey. La semaine passée, 300 voyageurs (français) sont venus de Granville en train de plaisir. Notre co-proscrit Mézaize a dit à l’un d’eux : Que venez-vous faire ici ? — Nous venions acheter Napoléon-le-Petit. — Cette soif est bon signe.

La désunion continue à Londres, mais l’union s’est faite ici. — Les proscrits, divisés sans trop savoir pourquoi (comme toujours), ne demandaient qu’à s’entendre et à s’unir. Vraiment tâchez de venir. Vous savez qu’on est libre ici. — Je remets cette bonne cause dans les belles mains de Mme Madier de Montjau. Offrez-lui tous mes respects. Charles et moi, nous vous embrassons comme le 1er août, et nous vous répétons : à bientôt.

Victor H.

Quand vous verrez nos si chers amis M. et Mme Bourson, M. et Mme Péan, parlez-leur de nous. J’écrirai bientôt à Mme Bourson.

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