Au représentant Charras Proscrit. À Bruxelles. Belgique. Via London .

Êtes-vous à Bruxelles, cher collègue ? On me dit que non. On me dit que vous êtes en Hollande. Je vous écris au hasard. Cette lettre est un bonjour qui ira au devant de vous partout où vous serez.

S’il y avait de beaux exils, Jersey serait un exil charmant. C’est le sauvage et le riant mariés au beau milieu de la mer dans un lit de verdure de huit lieues carrées. Je m’y suis logé dans une cahute blanche au bord de la mer. De ma fenêtre je vois la France. Le soleil se lève de ce côté-là. Bon signe.

On me dit que mon petit livre s’infiltre en France et y tombe goutte à goutte sur le Bonaparte. Il finira peut-être par faire le trou. La page sur Haynau circule dans le faubourg St-Antoine, et le fait bouillonner un peu. Il serait bon que cela commençât par un soufflet à Haynau pourvu que cela finît par un coup de pied au cul à Bonaparte.

Depuis que je suis ici, on me fait l’honneur de tripler les douaniers, les gendarmes et les mouchards à St-Malo. Cet imbécile hérisse les bayonnettes contre le débarquement d’un livre.

Vous avez dû recevoir votre exemplaire ? Je vous envoie une première page que vous y ferez coudre en souvenir de moi. J’ai eu bien de la peine à ne pas écrire sur cette page : au général en chef de la république future.

Ce sera votre rôle. Vous êtes peut-être le seul homme en effet qui puissiez revenir vainqueur et rassurant.

Ayons foi, cher ami. J’ai l’idée que nous siégerons vous et moi, coude à coude, au parlement des États-Unis d’Europe. Nous nous retrouverons l’un à côté de l’autre, et nous n’aurons plus les Thiers, les Montalembert et les Dupin en face de nous.

Je vous serre la main. — À bientôt.

Victor Hugo .

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