À Madier de Montjau.

Jersey, dimanche 8 août [1852].

Cher collègue, je suis arrivé ici jeudi, mais impossible d’écrire avant aujourd’hui, le paquebot pour Londres ne partant que demain. J’ai passé trois jours à Londres, j’y ai vu Louis Blanc, Schoelcher et Mazzini ; Ledru-Rollin était à la campagne. J’ai représenté à Mazzini les inconvénients d’une prise d’armes actuelle en Italie ou en Hongrie et sans la France ; je lui ai dit que nous étions unanimes sur ce point en Belgique ; qu’une tentative avec la France était encore impossible à l’heure qu’il est, qu’une tentative sans la France avorterait certainement, donnerait au despotisme européen le prétexte qu’il cherche, et amènerait certainement un redoublement de compression ; confiscation de la liberté ou de ce qui en reste en Belgique, en Suisse, en Piémont et en Espagne, suppression de tous nos moyens de propagande en France par ces quatre frontières encore à moitié libres, contre-coup même en Angleterre, etc. Enfin la situation empirée à tous les points de vue. Il m’a paru comprendre, il m’a affirmé qu’il pensait là-dessus comme nous tous, mais qu’il était débordé, que la Lombardie en particulier voulait absolument se lever, que depuis deux mois il n’était occupé qu’à retenir et à arrêter, mais qu’on le menaçait de se passer de lui, qu’il avait donc la main forcée, que pourtant, sur nos observations, il ferait son possible pour ajourner encore. J’ai terminé l’entretien qui a duré deux heures, en lui disant que pour nous et hors de tout esprit de nationalité étroite, l’avenir était plus que jamais lié à la France, que la chute de Bonaparte était le nœud et que la révolution d’Europe serait le dénouement, que brusquer un tel avenir, et si certain, et par conséquent le retarder, c’était une responsabilité énorme et qu’en cas d’un mouvement prématuré et avortant, cette responsabilité pèserait sur lui et sur Kossuth. Nous nous sommes séparés en nous promettant de nous écrire. — Communiquez ces détails à tous nos amis et usez tous de moi pour ce que vous voudrez. Ma bienvenue ici a ressemblé à mes adieux d’Anvers moins votre magnifique et splendide discours. Tous nos amis d’ici m’attendaient au débarquement, mêlés aux habitants de la ville de Saint-Hélier qui sont ardemment sympathiques aux proscrits républicains. L’accueil a été plein d’effusion et de cordialité. Napoléon-le-Petit doit avoir paru à cette heure. Voici les deux pages promises. Offrez mes respects à madame Madier de Montjau. Je vous serre tendrement la main.

Victor H.

Je pense qu’il sera facile d’unir les proscrits de Jersey en un groupe d’accord avec le groupe belge. Si vous veniez ici, tout irait admirablement. Serrez la main pour moi à tous nos amis

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