À Monsieur Luthereau.

Jersey, 15 août [1852].

Je sais, monsieur et cher ami, toutes les peines que vous avez prises et tous les remercîments que je vous dois. J’espère que vous me ferez savoir en détail tous les faits qui peuvent m’intéresser. Nous parlons sans cesse de vous ici et de votre si excellente et si charmante femme pour l’exemplaire de laquelle je vous envoie une première page qu’elle joindra au volume en souvenir de moi.

Nous sommes ici dans un ravissant pays ; tout y est beau ou charmant. On passe d’un bois à un groupe de rochers, d’un jardin à un écueil, d’une prairie à la mer. Les habitants aiment les proscrits. De la côte on voit la France.

Tout cela n’empêche pas de regretter le n° 11 du passage du prince.

Charles a oublié ses fleurets à Anvers à l’hôtel Rubens ; il serait possible qu’on les rapportât chez vous. Seriez-vous assez bon pour les joindre au masque et les conserver jusqu’à ce qu’un proscrit, venant nous rejoindre, veuille bien s’en charger.

Toutes nos santés ici vont bien et j’espère qu’il en est de même chez vous. Mme Wilmen vous a peut-être rejoints. Offrez-lui, je vous prie, tous mes affectueux souvenirs.

J’écrirai prochainement à mon bon et cher collègue Yvan. Il devrait bien venir nous prendre à Jersey. Nous y passerions une année, et nous irions de là ensemble à Madère ou à Ténériffe. Après quoi, le sieur Bonaparte tomberait, et nous rentrerions tous en France en chantant un chœur final. Faites-lui part de ce plan.

Je m’installe demain lundi avec ma famille dans une jolie petite maison que j’ai louée au bord de la mer. Mon adresse sera désormais : St. Lukes, 3, Marine Terrace. Du reste, il n’y a pas besoin d’adresse. Toutes les lettres simplement adressées à Jersey me parviennent.

Mettez-moi aux pieds de madame Luthereau, et croyez-moi bien à vous du fond du cœur.

Victor Hugo.

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