À Arsène Houssaye.

Jersey, 14 octobre 1853.

Mon cher poëte, vous gouvernez toujours le Théâtre-Français, ce dont je vous plains un peu et je félicite beaucoup le théâtre. Quant à moi, je ne gouverne rien, pas même ma destinée, qui va à vau-l’eau, selon le vent qui souffle, et je n’ai plus guère d’autre bien au monde que la paix avec ma conscience. Toutes les intempéries du dehors compensées par la satisfaction du dedans, voilà ma situation. Elle me laisse au moins ma liberté d’esprit, et j’en profite pour vous applaudir à chaque succès que vous avez. Vous entendez, j’espère, l’applaudissement, quoique ma stalle soit un peu loin du théâtre.

Voici une charmante femme, une charmante actrice, qui s’imagine que mon nom signifie encore quelque chose rue Richelieu, n° 4, et qui me prie de vous dire ce que tout le monde pense d’elle ; c’est-à-dire qu’elle a un grand talent, une beauté faite pour la scène, et la jeunesse, c’est-à-dire l’avenir. Toutes ces choses, vous les pensez comme poëte ; si vous en veniez à les penser comme directeur, elle serait heureuse, et moi, je serais charmé de savoir que le Théâtre-Français, quelque effort qu’on fasse pour lui boucher les yeux et lui fermer les oreilles, n’a pas encore complètement oublié les dix lettres que voici :

Victor Hugo.

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