À Madame XXX.

[1853]

Restez le grand esprit que j’ai connu.

Restez ce grand cœur et cette grande âme.

Le succès immédiat n’est rien. La justice est tout, la vérité est tout. Vous êtes digne, vous, de comprendre la beauté de la lutte du droit contre le crime, du juste contre l’injuste, de la pensée contre la force, du proscrit contre le dictateur, de l’atome moral contre l’énormité matérielle, d’un seul contre tous et contre tout. Vous êtes digne de comprendre cela, vous le comprenez, j’en suis sûr. N’écrivez pas de telle sorte qu’on en doute.

Oui, nous souffrons.

Nous souffrons, et nous sourions.

Si cet homme ne souffrait pas, où serait le mérite ? S’il ne souriait pas, où serait la grandeur ?

Ne tombez pas, vous ferme intelligence, dans l’enfantillage légitimiste. Voyez le véritable avenir. Votre œil est fait pour regarder fixement ce soleil-là.

Vivez, en vous disant que ma pensée ne se détache pas de vous, même dans le silence absolu.

Ne faites rien d’irréparable.

Surtout, restez vous-même. Gardez la fierté de votre esprit. Pas de concessions à l’entourage. Que des hommes quelconques vous entourent, passe ; mais qu’ils vous dominent, non ! Jamais ! ne le permettez pas. Vous êtes trop haut pour cela ; c’est le triomphe des petits êtres de grimper sur le dos des esprits supérieurs ; ne leur souffrez pas ces familiarités. Ne vous laissez pas imposer d’opinions par eux sur quoi que ce soit, ni sur moi, ni sur rien. Quand on songe à ce que vous êtes, et qu’on s’aperçoit de leur influence sur vous, cela navre. C’est triste de voir la bave des limaçons sur une rose. C’est triste de voir l’empreinte de la patte de l’oison sur l’aile de l’aigle.

Ne montrez ceci à personne.

Votre lettre a froissé la femme qui l’a reçue et qui vous aime et vous estime. Écrivez-lui en une autre pour l’effacer.

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