À Hetzel.

Marine-Terrace, 7 juillet.

Commençons par quelques détails :

1° Dans l’instruction pour l’imprimeur, j’ai expliqué de quelle façon j’indiquerais les suppressions pour l’édition expurgée.

Dans l’instruction Spéciale qui accompagnait l’envoi de la première épreuve, j’ai répété ces explications (revoir les deux instructions). J’ai dit que j’entourais d’un cercle à l’encre rouge tout ce qui, demeurant entier dans la clandestine, devait être supprimé dans la châtrée ; que M. Mœrtens regarde les épreuves, et faites-vous les représenter, il y a sur toutes des passages marqués à l’encre rouge (et aussi sur celle que je vous envoie). Je ne comprends donc pas comment M. Mœrtens peut dire (27 juin) : Je ne vois aucune indication de suppression pour l’expurgée. Faisons attention à tout, car il résulte de cette inattention que l’expurgée n’a pas été commencée, retard à ajouter aux autres. À ce propos, je demande si vous avez cru nécessaire de faire, même dans la complète, la suppression des noms que j’indiquais pour ce vers :

Rouher, cette catin, Troplong, cette servante.

Répondez-moi à ce sujet.

Je répète, en outre, que vous pouvez ajouter à mes suppressions toutes les suppressions que dans votre prudence vous jugerez utiles.

2° Vos calculs à tous sont inexacts et rien de plus facile à voir. Il y aura 87 pièces détachées ; j’en ajouterai deux, ce qui fera 895 le blanc du haut et le blanc du bas font perdre à peu près une page par pièce ; mettons seulement 80 pages blanches ; ajoutez 9 faux-titres, le titre, la préface et la table, cela fait 100 pages. Eh bien, dites-vous, c’est cela ! Avec 194 pages (à 32 vers par page), cela fait 294 pages. Nullement, il n’y aura point 32 vers par page. En dehors des pages blanches ci-dessus, il ne faut compter, à cause des alinéas, des chiffres et des entre-strophes qu’environ 20 vers par page, cela fait donc pour 6 240 vers juste 312 pages. Ajoutez les 100 pages : 412. Maintenant ajoutez 30 pages de notes, vous aurez au minimum 442 pages (en serrant beaucoup). Napoléon-le-Petit en avait 462. Vous voyez donc qu’il faut refaire tous vos calculs, et m’envoyer plus de 48 pages par semaine.

Si M. Samuel m’avait écrit ce que vous m’écrivez, l’incident n’aurait pas surgi. Il n’y aurait eu qu’un dissentiment, non sur le fond, mais sur la forme, non de conscience, mais de tactique, sur la question de conduite politique. Rien de plus.

L’honneur n’étant pas touché, il était facile de s’entendre.

Eh bien, sur la question de conduite et de tactique, je vous déclare que je crois, et que nous croyons tous ici, que vous raisonnez mal là-bas.

D’abord s’il n’y avait pas de préface (et j’examine ce cas), ce serait la chose la plus déplorable du monde et la plus ridicule pour moi de me présenter avant le procès, et pour effrayer le procès, comme pouvant (et par conséquent comme devant) venir en Belgique ; puis, si le Bonaparte n’est pas intimidé et fait le procès, de me retirer de l’affiche. Je serais l’épée de bois qui n’a pas fait peur et qu’on remet dans le fourreau. Toutes les raisons de tactique et de prudence politique, données après coup, n’atténueraient en rien l’immense ridicule qui en rejaillirait sur moi, et sur le parti républicain tout entier.

Ne l’oubliez pas, vous toujours si vaillant dans des luttes de cette nature, ce qu’on peut faire est subordonné à ce qu’on doit faire. Je ne peux pas aller devant la loi Faider, pourquoi ? parce que je ne le dois pas.

Si je n’ai pas cette raison-là, je n’en ai aucune.

Or, cette raison, je l’ai, je l’ai à tous les points de vue. Vous me l’avez écrit dix fois vous-même dans les termes les plus absolus.

Relisez la préface. Elle est sans réplique.

Subordonnons donc toutes les questions de tactique aux questions de devoir. C’est l’unique moyen de rester grands.

Mais parlons tactique, je le veux bien. Vous allez voir que la tactique est de mon avis.

Vous dites :

— Si vous ne faites pas de préface, si vous ne dites rien, le Bonaparte, sur la foi de votre lettre de l’an passé, dira : il va aller en Belgique, parler, faire un discours, scandale énorme en faveur du livre, grand éclat, étrivières oratoires sur mon dos à moi, Bonaparte, bah, laissons le livre en paix. Point de procès.

Voilà comment vous raisonnez ; je réponds :

— Pourquoi Bonaparte a-t-il fait la loi Faider ? Pour prendre les écrivains ses ennemis. Il rêve de nous ressaisir pour Cayenne. Ce serait là sa sécurité et sa volupté. S’il n’y a pas de préface aux Châtiments, si on laisse croire que je viendrai au procès, il dira : — Bon, faisons un procès, V. H. viendra, il essaiera de faire un discours et n’y parviendra pas (je vous ai démontré comment), on le fourrera en prison, et alors, si j’entre en Belgique, je le prendrai ; si je n’y entre pas, je serai sûr du moins qu’il se taira (on n’écrit pas librement en prison) et ne fera plus rien contre moi tant qu’il sera sous clef. Vite , puisqu’il doit venir, faisons le procès.

S’il y a, au contraire, une préface annonçant que je ne viendrai pas (et en donnant les raisons, toutes puisées dans le devoir), le Bonaparte n’a plus d’intérêt au procès. Un procès ! un scandale, un grand bruit autour du livre ! une réclame immense éveillant la curiosité universelle ! des citations terribles partout, jusque dans le réquisitoire Bavay qui sera reproduit par les journaux de France ! des plaidoiries pour et contre dans tous les journaux d’Europe ! Et pourquoi tout ce tapage qui triplera le bruit du livre ? pour prendre l’éditeur et l’imprimeur ! pour n’avoir pas même le plaisir de la vengeance ! À quoi bon ?

Vous voyez que, dans ce dernier cas, grâce à la préface, il y a beaucoup de chances pour qu’il n’y ait pas de procès. Moi absent, plus d’intérêt pour Bonaparte. Vous voyez au contraire que dans le cas où je laisse croire que je viendrai, c’est une prime d’encouragement au procès.

Réfléchissez bien à ce raisonnement qui me paraît capital.

À tous les points de vue donc, au point de vue de la dignité comme au point de vue de la tactique, la préface que je vous ai envoyée est nécessaire. — Ce que je puis concéder, le voici : M. Samuel envoie des considérants rédigés par lui et qu’il préfère aux miens ; je les accepte. — À la seule condition d’y ajouter quatre lignes disant ceci : attendu en outre que les devoirs spéciaux de M. V. H. comme représentant républicain lui interdisent de se faire volontairement justiciable d’une loi imposée à la Belgique par M. Bonaparte et qui, au mépris des droits du peuple, attribue et reconnaît à M. B. la qualité de souverain de la France.

Avec ces quelques mots indifférents à M. S., j’accepte pleinement ses considérants. — Les conditions spéciales pour l’amende, la prison, etc., ne sont pas dans le projet de traité. Si on veut les mettre dans une lettre ainsi que les considérants ci-dessus, j’y consens encore. — Vous voyez que je suis accommodant. Répondez-moi vite et à tout. Ci-joint l’épreuve que je remets à votre diligence et une lettre pressée pour M. Marescq que j’aime mieux envoyer par la poste de Bruxelles. Serez-vous assez bon pour l’y faire mettre ? Elle contient l’épreuve de la préface des Odes.

Je vous parlerai de petits détails pour le traité dans une prochaine lettre ; l’important passe aujourd’hui.

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