À Louise Colet.

Marine-Terrace, 28 juin [1853].

Le beau, c’est la croyance, et l’art, c’est la prière.

Vous avez fait là des vers de marbre blanc, des vers bas-relief, qui pourraient suppléer les métopes sacrées et rendre au Parthénon ce que lui avait donné Phidias et ce que lui a volé Elgin. Et vous espériez être couronnée ? Ô charmante et noble femme que vous êtes, cela était trop beau pour n’être pas proscrit. — Vous avez raison, ce poëme passe vos autres poëmes ; je suis tenté de dire de vos vers ce que vous dites des grecs ; on y sait à peine

Où la femme finit, ou commence la Muse.

Maintenant vous me demandez conseil. Faut-il publier ce poëme, quitte à en faire un autre l’an prochain ? Si vous avez de ces opulences-là, si vous êtes comme Latone, sûre d’enfanter Diane après Apollon, et de mettre au jour deux jumeaux divins, allez, faites, publiez, que voulez-vous que je vous dise ? Je me borne à vous admirer.

Il va sans dire que, si vous reconcourez, et si je suis encore de l’Académie en 1854, vous disposerez de moi et que je ferai mon possible et mon impossible pour que l’Académie ne fasse pas une nouvelle sottise.

Voici le portrait que votre chère et gracieuse amie veut bien désirer. Ce n’est pas ma faute s’il est si pâle ; c’est la faute du soleil de juin qui se met maintenant à manquer de parole tout comme s’il avait l’arrière-pensée de devenir empereur de quelque chose.

Quand vous verrez Préault, Jules Favre, Pelletan, parlez-leur un peu de moi. Ils ont raison de m’aimer. Je pense à eux souvent. C’est un miracle que de tels talents et de tels esprits soient encore en France. C’est comme vous. Comment se fait-il que vous ne soyez pas dans quelque Jersey ! Vous êtes évidemment un oubli de M. Bonaparte.

Remerciez Villemain de tout ce qu’il vous a dit de bon pour moi ; je serai charmé d’être dans son livre. Il a dû voir que je l’avais un peu mis dans le mien. L’occasion s’est offerte de le nommer dans Napoléon-le-Petit ; je l’ai saisie avec joie.

Je fais en ce moment une œuvre de titan : ce n’est pas d’écrire un livre contre un homme, c’est de le publier. Vous ne sauriez croire les lâchetés et les reculades que je constate. L’argent à gagner ne suffit plus pour faire contrepoids à la peur. Cependant la chose est en train, je le veux, et j’y parviendrai. Soyez tranquille, d’ici à deux mois, vous aurez le petit livre auquel vous faites l’honneur de le souhaiter.

L’été nous fait banqueroute, c’est triste, surtout pour nous, exilés. J’en prends mon parti, et je n’en vais pas moins faire des vers et crier anathème à cet homme, au bord de la mer ; mais c’est trop d’être mouillé à la fois par l’écume et par la pluie.

Je me mettrais volontiers aux pieds de la belle miss Blacke, mais je suis aux vôtres.

V.

Nous avons tout reçu. Ma femme est bien touchée de votre gracieux souvenir et vous écrira.

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