À Monsieur Jules Laurens.


Artiste-peintre, auteur du Voyage en Perse publié aux frais du gouvernement.
13, rue Bonaparte. Paris.

Guernesey, Hauteville-House.

15 9bre 1855.

Vous savez, sans doute, monsieur, que notre exode a recommencé. Me voici à la troisième étape de l’exil ; j’ai enjambé le bras de mer de Jersey à Guernesey, en attendant mieux. L’Angleterre nous offre le silence ou l’alien-bill. Je ne suis pas de ceux qu’on fait taire. En marche donc.

Qu’est-ce d’ailleurs que cette vie ? un exil dans la nuit, une marche vers la lumière. Tendons au ciel qui est le but ; on n’y arrive que par le sacrifice et le devoir ; notre vraie patrie n’est pas faite de terre, mais d’azur.

Vous a-t-on dit tous les détails de notre expioulcheune ? Voyez Paul Meurice. Il vous les contera. Tout est bien.

Si je suis encore à Guernesey au printemps, monsieur, venez nous y voir. Vous retrouverez ici une profusion de belles choses dignes de votre charmant et sévère talent. Guernesey est une île normande moins anglaisée que Jersey. L’idylle moins peignée n’en est que plus jolie. Et puis, il y a la mer que l’Angleterre, toute maîtresse qu’elle en croit être, ne réussira jamais à anglaiser.

Seriez-vous assez bon pour faire jeter à la poste le petit billet que voici. — Hauteville-House remplace Marine-Terrace. C’est, comme Marine-Terrace, un nid d’oiseau de mer avec l’immensité pour horizon ; c’est, comme Marine-Terrace, un seuil qui vous aime et vous désire.

Je vous serre la main, monsieur.

Victor Hugo.

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