À Enfantin.

Guernesey, 7 juin 1856.

Je vous remercie, cher et grand penseur, votre lettre m’émeut et me charme. Vous êtes un des voyants de la vie universelle. Vous êtes un de ces hommes en qui remue l’humanité, et avec lesquels je me sens une fraternité profonde. L’idéal, c’est le réel. Je vis, comme vous, l’œil fixé sur la vision.

Je fais mon possible pour aider, dans la mesure de mes forces, le genre humain, ce triste tas de frères que nous avons là et qui va dans les ténèbres, et je m’efforce, lié moi-même à la chaîne, d’aider mes compagnons de route, par mes actions, comme homme, dans le présent, et par mes œuvres, comme poëte, dans l’avenir.

Ma sympathie embrasse, en gardant les proportions, tous les êtres créés. Je vois votre horizon, et je l’accepte, et je pense que vous acceptez aussi le mien. Travaillons à la lumière. Créons l’immense amour.

Dans ces deux livres, Dieu et la Fin de Satan, certes, et vous le savez bien, je n’oublierai pas la femme ; j’irai même au delà, de même que j’irai au delà de la terre. Ces deux ouvrages sont à peu près terminés ; pourtant je veux laisser quelque espace entre eux et les Contemplations. Je voudrais, si Dieu me donnait quelque force, emporter la foule sur de certains sommets ; pourtant, je ne me dissimule point qu’il y a là peu d’air respirable pour elle. Aussi, je veux la laisser reposer avant de lui faire essayer une nouvelle ascension.

Hélas ! je suis bien peu de chose, mais j’ai dans le cœur un profond amour de la liberté, qui est l’homme, et de la vérité, qui est Dieu.

Ce double amour est en vous comme en moi ; il est la vie de votre haut esprit ; et c’est avec bonheur que je vous serre la main.

Victor Hugo.

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