À Louise Colet.

24 mai [1856], Hauteville House.

Je vous dois deux reconnaissances : pour cette charmante lettre, et pour ce beau poème. Je communie avec vous sous les deux espèces ; femme et poète, vous êtes adorable. Vous demandez comment on vient à Guernesey ; quand je lis vos vers, je suis tenté de vous répondre : à tire-d’aile. Mais il faut bien redescendre dans la prose. L’Angleterre où je vis n’est pas autre chose qu’une prose énorme, et, quoi que je fasse et quoi que je rêve, elle me rappelle à la réalité ; donc, il faudrait tout bonnement aller à Londres, de là, chemin de fer jusqu’à Southampton, et paquebot jusqu’à Guernesey. Quelle fête si vous veniez un beau jour vous abattre dans notre île ! Mais je ne veux pas faire de songes. Il faut toujours finir par se réveiller, et moi, j’ai beau faire, je me réveille proscrit.

Vous voilà donc à la troisième strophe de votre hymne de la Femme : la Paysanne, la Servante, la Religieuse. Trois figures poignantes. La dernière est peut-être la plus sombre des trois. Elle est l’infécondée. Or, ce qu’il y a de plus douloureux pour la femme, c’est de mourir sans avoir donné la vie. Vieille mère, quel vénérable mot ! Vieille vierge, quelle note lugubre ! Cette note sonne dans votre tragique et sincère poème.

Vous avez la touche vraie, grave, forte, et en même temps douce. Osez. Osez tout. C’est votre droit et votre devoir. Vous êtes muse et déesse. Ne craignez pas d’aller nue. Je dis ceci pour répondre à un mot de votre lettre. Vous faites l’épopée de votre sexe. Dédaignez le monde, et rayonnez au dessus de lui, tantôt femme, comme Vénus, tantôt étoile, comme Vénus aussi. Poëte, vous n’êtes pas une femme, vous êtes la femme. Courage donc. Et je vous remercie de votre grande et fière poésie.

Écrivez-moi donc de longues lettres. Tout ce que vous me dites m’enchante. Vous me parlez de ce livre avec une sorte de doux enivrement communicatif. Je ne mérite pas tout cela, mais je suis heureux que vous me le disiez.

Je vous baise les mains.

Cette soirée chez vous ! comme elle est peinte ! Comme c’est réel et charmant et vivant ! J’en étais.

Tendresses à tous les nôtres.

V. H.

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