À Paul Meurice.

Dimanche 15 juin [1856].

En attendant que vous m’envoyiez l’état de situation, je crois pouvoir tirer sur vous 450 francs. Je vous serai obligé de les remettre à M. Lanvin qui vous présentera un bon et qui signera au bas. Vous compterez comme étant à moi les 300 francs de M. Lévy pour Victor. Vous savez que je les lui ai payés. Maintenant j’aurais besoin de votre délicate et bonne amitié. Voici pourquoi :

Vous connaissez certainement, de nom du moins, M. Henry Descamps. J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour lui. Je l’ai connu dans le beau temps des poëtes naissants et des éveils d’esprits. Il en était un. Puis 48 est venu, et je l’ai un peu perdu de vue. Au coup d’état, il s’est noblement retrouvé. Il m’a offert asile chez lui. J’ai accepté. J’y ai passé quelques nuits, les plus périlleuses, dans la chaleur même du combat. De là, en moi, une reconnaissance sérieuse. Or, M. H. Descamps avait une place (à la Marine), il l’a conservée. À Bruxelles, je racontais à tout venant le service qu’il m’avait rendu. Là-dessus, l’avis m’est venu d’un ami commun que M. H. Descamps, qui m’avait rendu ce service dans le doute de l’événement, s’étant rallié au succès, était plus embarrassé qu’heureux de ce qu’il avait fait pour moi, qu’il ne s’en vantait pas, qu’il craignait que cela n’ébranlât sa position ou ne compromît son avancement, et que si je voulais lui témoigner ma reconnaissance, je ne pouvais faire mieux que m’en taire. En même temps, une lettre écrite par moi à M. Henry Descamps resta sans réponse. Les exilés sont un peu ombrageux ; je me dis d’ailleurs que, risquer de faire perdre sa place à un homme était une mauvaise façon de le remercier, et je m’imposai le silence sur M. H. Descamps et vis-à-vis de M. Descamps, regrettant presque par moments qu’il m’eût offert ce service et que je l’eusse accepté. C’en est là. Voilà quatre ans. J’ai rompu le fil. Je ne lui ai pas envoyé Les Contemplations, craignant que cet envoi ne lui parût compromettant. Or, voici qu’il me revient que cet oubli apparent l’aurait fâché ou attristé. Par-dessus tout, je ne veux pas même d’un semblant d’ingratitude. J’ai reçu ce service, j’en dois être reconnaissant, je le suis. Et puis, ne se pourrait-il pas qu’il y eût malentendu dans tout cela, et qu’un officieux eût mal interprété les sentiments de M. H. Descamps. Si cela était, je ne me consolerais pas d’affliger un cœur ami et loyal. Avez-vous moyen de savoir la vérité sur tout ceci ? Connaissez-vous quelqu’un qui connaisse M. Henry Descamps ? Auriez-vous moyen de le faire sonder pour savoir le vrai ? On pourrait au besoin lui montrer cette lettre. Il demeurait en 1851 rue de Richelieu, 17. Il va sans dire qu’au cas où M. H. Descamps désirerait véritablement l’envoi des Contemplations et n’y verrait pas d’inconvénient pour lui, vous seriez assez bon pour les lui adresser de ma part. — Renseignements : M. H. Descamps est un créole de la Guadeloupe ; il a été autrefois l’ami de M. Granier de Cassagnac (l’est-il encore ?). Il a publié de beaux vers sous le nom de Maxime de Trailles. Pendant la lutte contre le coup d’état, il me paraissait ardemment sympathique à la résistance et à la république. Je confie tout cela à votre admirable amitié. Je ne pourrais supporter l’idée d’être l’ingrat malgré lui. En cette occasion comme en toutes, je vous dis : faites pour le mieux.

Voici encore des lettres pour Michelet, pour Béranger, pour Barillot et ces jeunes combattants de la Tribune des poëtes.

Voici aussi toutes nos tendresses, toutes nos effusions, tous nos appels. Il fait beau, les champs sont des merveilles de fleurs et de joie, le ciel n’est qu’un rayonnement, la mer est chantante et superbe. Tout cela dit : il faut venir. Je vais arranger la maison. J’y entre dans quelques jours. Ce sera la trilogie des maçons, des peintres et des tapissiers. Après quoi, les portes s’ouvriront à deux battants du côté de la France, du côté de la poésie, du côté des bons et vaillants cœurs, et vous arriverez, n’est-ce pas ? À vous. — À vous. — À vous.

V.

Je vois, d’après un mot de vous à Auguste, qu’une chose que je vous ai envoyée ne vous est pas parvenue. Je vous la renverrai jusqu’à ce qu’elle vous arrive.

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