À Charles.

Hauteville-House, 14 mai [1859].

J’ai tes deux lettres, elles me vont au cœur. Amuse-toi bien, mon bon petit Charles, voilà ce que je te demande ; que ta mère et ta sœur s’amusent côte à côte avec toi ; que tout ce grand morceau de mon cœur qui est là-bas soit heureux ; cela me rendra heureux ici.

Après votre départ, j’ai été sur l’Esplanade et sur la route de Saint Sampson et j’y suis resté jusqu’à la disparition de votre fumée à l’horizon. Nous voici maintenant, Victor et moi, faisant ménage à deux le plus doucement et le plus tendrement que nous pouvons dans notre désert. Après le dîner, nous jouons au billard une heure ou deux ; Victor me rend vingt-cinq points : il n’a encore réussi qu’à me gagner un sou.

Le soir de ton départ, j’ai dîné avec Lux ; elle était un peu triste, mais douce, et cherchant les caresses dont elle était accablée. Je passe toutes mes soirées avec elle, et nous dînerons ensemble deux fois par semaine, le mercredi et le dimanche. Elle me fait des tendresses inouïes quand elle me voit, comme si elle te sentait dans moi.

Voici une lettre de Mme Colet pour ta mère. Si ta mère ne l’a déjà fait, il est important qu’en lui écrivant, elle lui fasse comprendre que ces deux dames ne peuvent loger à la maison, si elles viennent en même temps que Julie et son mari, la maison ne pouvant loger plus de deux personnes en dehors de nous. Fixe bien, je te prie, l’attention de ta mère sur ce point essentiel.

Avec la lettre de Mme Colet, je vous envoie six feuilletons sur Auguste, entre autres Janin. Le succès est aussi vif qu’il est juste. J’ai écrit à Vacqueric pour le reféliciter.

Hetzel m’a écrit réclamant le deuxième volume, vite, vite, vite. Ce nonobstant, j’irai peut-être passer quelques jours à Serk pour prendre les notes du roman futur. J’ai demandé à Victor s’il voulait venir, son travail l’en empêche ; du reste il me proteste que son travail l’empêchera aussi de s’ennuyer pendant mon absence. Si je pars, ce sera la semaine prochaine. Nous avons ici un admirable temps, ce qui me fait penser, et j’en suis joyeux, que vous avez beau temps à Londres.

Mon Charles bien-aimé, je te recommande de nous oublier là-bas ; moi je pense à toi, si tendre, si doux, si bon, et au beau livre que tu vas ébaucher à Londres. Toi, ne pense pas à nous ; je veux ta joie et non ta tristesse ; travaille un peu, amuse-toi beaucoup. Je dis la même chose à ta mère et à ta sœur. J’attends leur lettre, et je ne fais de vous trois qu’une bouchée ou qu’un baiser. Dans moins d’un mois nous serons ensemble.

Amitiés à tous ceux qui sont nôtres.

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