À Hetzel.

Dimanche 3 avril 1859.

Je commence par vous dire que votre lettre est charmante et votre colère la plus cordiale et la plus gracieuse du monde, et que moi, le tyran, je ferai ce que vous voudrez. Cela posé, précisons bien, et pesez les quelques points que voici :

1° En faisant toute diligence, je ne pourrai guère vous remettre le manuscrit avant trois semaines, fin avril. Quand commenceriez-vous d’imprimer ?

2° Tout de suite sans doute. Mais en faisant vous aussi toute diligence, ne vous faudrait-il pas au moins six semaines ? Plus les quinze jours d’appoint pour l’imprévu ? Nous voilà en juillet. Ceci est le plus tôt possible.

3° Vous convient-il de paraître en juillet ? Quant à moi, cela m’est absolument égal. Je vous ai déjà dit mon indifférence pour ce qu’on appelle bon et mauvais moment. Et je vous ai dit les faits qui m’ont amené à cette indifférence. Mais vous, vous tenez, je crois, à telle saison plutôt qu’à telle autre.

Vous me disiez, à votre dernière visite, qu’il y a deux saisons excellentes en librairie, le printemps et l’automne. En ce cas, ne vaudrait-il pas mieux attendre deux mois ? (à partir de juillet, il ne faut plus que deux mois pour atteindre l’automne).

Décidez ces diverses questions.

Si vous dites : tout de suite, vous aurez le manuscrit à toute vitesse. Je ne crois pas que cela puisse être avant fin avril. Et encore, certaines parties seront inachevées, qu’il faudra terminer pendant l’impression.

Si vous dites : à l’automne, j’achèverai plus à loisir. Voilà tout. C’est-à-dire, je mettrai dans le livre tout ce que je veux y mettre.

Du reste, comme je vous l’ai écrit, ce qui ne passera pas maintenant viendra plus tard. L’idée a porté tous ses fruits dans mon cerveau. J’ai dépassé les Petites Épopées. C’était l’œuf. La chose est maintenant plus grande que cela. J’écris tout simplement l’Humanité, fresque à fresque, fragment à fragment, époque à époque. Je change donc le titre du livre, le voici :

LA LÉGENDE DES SIÈCLES
par

v. h.

Ceci est beau et vous frappera, je pense. Sous ce titre nous mettrons : première série. Cette première série aura deux volumes, et plus tard, les autres suivront. L’ensemble, je crois, sera neuf et saisissant. À la rigueur, et si vous y tenez absolument, nous ressaisirons le titre que j’abandonne de la façon que voici :

LA LÉGENDE DES SIÈCLES
par

v. h.

Première série : Les Petites Épopées.

T. I. — T. II.

Mais je hais les doubles titres. Je vous ai expliqué pourquoi. Cela fait vaciller l’idée du livre dans l’esprit du lecteur. Ensuite cela obligerait presque à mettre des titres spéciaux (en sous-titre) aux séries ultérieures. Pesez tout cela. Les autres séries sont déjà très ébauchées. Une est presque finie. Le tout, je crois, ne sera pas sans quelque grandeur. C’est l’histoire vue par l’angle épique.

À vous. Ex imo corde.

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