À Auguste Vacquerie.

[1861.]

Cher Auguste, ce matin 30 juin à huit heures et demie, avec un beau soleil dans mes fenêtres, j’ai fini Les Misérables. Je sais que la nouvelle vous intéressera un peu, et je veux que ce soit par moi que vous l’appreniez. Je vous dois ce petit billet de faire part. Vous avez pris cette œuvre en amitié, et vous l’avez nommée dans votre admirable livre Profils et Grimaces. Sachez donc que l’enfant se porte bien. Je vous écris ces quelques lignes avec la dernière goutte d’encre du livre.

Et ce livre, savez-vous où le hasard m’a amené pour le finir ? dans le champ de Waterloo. J’y suis depuis six semaines, tapi. Je m’y suis fait un antre à côté du lion, et j’y ai écrit le dénouement de mon drame. C’est dans la plaine de Waterloo et dans le mois de Waterloo que j’ai livré ma bataille. J’espère ne l’avoir point perdue.

C’est du village de Mont-Saint-Jean que je vous écris. Demain j’en partirai et je continuerai ma tournée en Belgique et un peu ailleurs, s’il m’est possible d’aller ailleurs.

Voilà donc le livre fini. Maintenant quand paraîtra-t-il ? ceci est une autre question. Je me réserve de l’examiner à part. Comme vous savez, je n’ai nulle hâte de publier ce que je fais. L’important pour moi, c’est que Les Misérables soient terminés. À présent, je vais achever La Fin de Satan, et enfermer, en attendant, Les Misérables sous six clefs, con seis llaves, comme dit votre grand frère Calderon.

À bientôt. Si vous m’écrivez, envoyez-moi votre lettre par Charles qui, lui aussi, travaille. Et faites-nous un beau drame, qui accompagnera splendidement cet hiver la glorieuse résurrection des Funérailles de l’honneur. Quand le mot est écrit par vous, Funérailles signifie Triomphe.

Tuus.

V. H.

Je vais me remettre en route, mais Charles saura toujours où je suis.

Connaissez-vous un jeune statuaire qui a un très beau talent et qui s’appelle M. Drouet ? Il a, me dit-on, l’idée de faire pour moi ce qu’Alexandre rêvait pour lui-même en regardant le mont Athos, et de sculpter à ma ressemblance un rocher de Guernesey. Mais oui, vous le connaissez, car il a fait votre médaillon. Quand vous le verrez, remerciez-le pour moi de son glorieux rêve, et serrez-lui la main de ma part.

Je sors de temps en temps de ma caverne pour aller voir ces dames qui paraissent se plaire à Bruxelles.

Voilà donc M. Peyrat revenu à la tête de La Presse. J’en suis charmé. C’est un cœur honnête et un jeune et noble talent.

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