À Charles.

Eyndheven, 15 août [1861].

Mon petit Charles, je te griffonne ceci sur une feuille arrachée à mon carnet, avec mon genou pour table, dans un coin d’auberge ; je suis en pleine école buissonnière, je viens de voir la Hollande. Voilà trois semaines que j’y fais des zigzags, allant de Maëstricht à Utrecht, de Schiedam à Amsterdam. J’ai tout vu. Il y a des merveilles en tout genre, et comme nature et comme art, mais l’ensemble est une désillusion. Il faut toute ma bienveillance pour ne pas être furieux. La vieille Hollande chinoise n’existe plus ; une curiosité, c’est qu’il n’y a pas de curiosités. Tout est gratté, parfait, anglais, châtré, badigeonné en jaune. Il y a cinquante ans, Prudenheim, sous le nom de Louis Bonaparte, a régné ici. Le style empire y fait loi. Les rares carillons qui restent chantent Partant pour la Syrie. La Hollande, à tous les points de vue, est immensément au-dessous de la Belgique. Mais les Rembrandt qui sont à La Haye et à Amsterdam méritent, à eux tout seuls, qu’on fasse le voyage. Je t’écris ceci dans une halte ; les itinéraires sont très brouillés dans ce pays de canaux. Peut-être vais-je m’embarquer pour Guernesey dans le plus prochain port, peut-être repasserai-je par la Belgique. Dans ce cas, j’irais vous voir tous un moment à Bruxelles ; êtes-vous toujours 16, rue de Louvain ? J’y adresse ce mot à tout hasard. J’espère que ta mère va toujours de mieux en mieux, et que ta sœur et toi vous vous portez splendidement, comme c’est votre devoir. Voilà vingt-cinq jours que nous nous sommes quittés, j’ai soif de vous embrasser tous. Quelle joie quand nous nous reverrons tous à Guernesey ! Paradis méconnu, le mot est de toi. As-tu fini ton travail ? Parions que tu as fait un charmant livre. À bientôt, mes chers êtres bien-aimés. Mon Charles, je t’aime bien.

J’ai vu dans les journaux que j’étais en Hollande. Tu as dû le savoir de ton côté.

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