À Albert Lacroix.

H.-H., 8mai [1862].

Il serait fâcheux qu’en lisant le manuscrit avant tout le monde, vous eussiez trop présente à l’esprit l’éventualité. Cela vous troublerait l’effet. Le dénouement sort de la barricade ; ce tableau d’histoire agrandit l’horizon et fait partie essentielle du drame ; il est comme le cœur du sujet, il fera le succès du livre en grande partie. Il faut donc prendre son parti de la situation que nous fait l’abominable régime actuel. C’est le despotisme. Il fera à sa fantaisie. Nous n’y pouvons rien que le faire repentir ensuite. Ce que vous devez dire et répandre dès à présent, c’est que si Bonaparte persécute Les Misérables, la littérature en dedans de la France m’étant fermée, je reprendrai la littérature du dehors, et je recommencerai la guerre de Napoléon-le-Petit et des Châtiments. Ceci pour intimider la persécution et la faire reculer.

Dans tous les cas, il faut que le livre soit le meilleur possible, et la barricade est un de ses grands intérêts. Quant à l’éventualité, nous devons tous la braver. Elle est pire pour moi que pour vous. Pour moi, c’est une suspension de propriété ; pour vous, c’est une prolongation.

Je suis aussi opposé que possible à un retard de la publication. Il faut paraître le 14 au plus tard. Rien n’est plus facile que d’avoir tout publié, même avant le 30 juin.

Ma lettre d’hier vous l’explique. De ma part, nul retard possible, si ce n’est un cas de maladie imprévue. Paraissez le 14, paraissez le 14 !

En lançant la deuxième et la troisième partie, faites feu des quatre mains. Si l’on donne des citations, qu’on insiste sur Waterloo, qu’on fasse ressortir ce que ce livre a de national, qu’on remue la fibre française, qu’on fasse d’avance honte à Persigny d’arrêter un livre où il est rendu enfin justice à Ney, grand-père de sa femme, qu’on rende la saisie impossible en disant que c’est la bataille de Waterloo régalée par la France, etc. Entendez-vous pour cela avec MM. Vacquerie et Meurice. — Et nos amis de L’Indépendance. M. Frédérix. Demandez de ma part un article à Bancel. Déjà Kesler en a publié deux dans Le Courrier de l’Europe.

Vous recevrez avec cette lettre le livre premier de la cinquième partie, la guerre entre quatre murs. Cinquante-sept feuillets. Lisez la chose en soi, et non avec le tremblement de l’éventualité.

Voici un paquet très important pour M. Vacquerie. Il contient des envois et des lettres aux journaux. Il faudrait que cela fût remis en mains propres.

C’est pressé.

Courage, et mille affectueuses cordialités.

V.

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