À François-Victor.

Juliers, 17 août [1862].

Mon Victor, es-tu encore à Guernesey ? Je serai dans cinq jours à Dinant où je trouverai de vos lettres, je l’espère. Si tu es à Londres, ta mère t’enverra ce mot, écris-moi ton adresse à Londres et jusqu’à quelle époque tu y seras, chez M. Lacroix, 5 impasse du Parc, rue Royale, à Bruxelles. Charles m’a quitté hier. Je suis triste, et j’ai besoin de toi, besoin de vous tous. Notre voyage a été beau et charmant, nous avons vu un bon bout des Ardennes, et Trêves, et le cours de la Moselle, et un tronçon du Rhin de Coblentz à Cologne. Je me cache le plus que je peux, mais je suis parfois reconnu. Alors des ovations, et je me sauve. Tout le monde me parle de ton Shakespeare et te glorifie, Charles tout le premier. Il t’aime tant !

En ce moment, je suis à Juliers. Tout ce vieux Rhin allemand est un pays prêtre. À l’instant où je t’écris une procession passe sous ma fenêtre. C’est l’Assomption. On chante, on bat du tambour, un tas de ravissantes petites vierges grosses comme le poing, de six à dix ans, salue l’ostensoir ; elles sont blanches et bleues et tiennent des branches de lys, et les toutes petites se frappent gravement la poitrine pour nos péchés. Voilà le tableau. À la croisée d’en face, une très belle fille de vingt ans, décolletée en l’honneur de la Vierge, me regarde fixement, quoique je sois une barbe grise. Les français font toujours prime et sont en hausse partout. Mon Victor chéri, tu as bien travaillé, tu es un penseur et un lutteur, maintenant repose-toi un peu, amuse-toi et aime-moi. Nous avons joliment parlé de vous tous dans ce voyage. Mes plus vives amitiés à mon vaillant et cher compagnon d’exil Kesler. Remets ce mot à M. Marquand. Je te serre dans mes bras.

V.

Share on Twitter Share on Facebook