À George Sand.

Hauteville-House, 18 mai [1862].

Il est doux d’être blessé par les déesses quand c’est par elles qu’on est guéri. Merci de vos deux lettres exquises et bonnes. Qui ne sait pas être charmant n’est pas grand, et vous le prouvez, car vous êtes charmante. Votre grandeur, quand bon lui semble, se tourne en grâce à volonté, et c’est ainsi qu’elle se démontre.

Je sais bien qu’en disant cela de vous j’enchante mes bons amis mes ennemis qui affirment qu’on ne saurait le dire de moi ; ils sont précisément en train de décréter que la grâce me fait défaut ; c’est leur mot d’ordre actuel ; jadis j’étais un faiseur d’antithèses, aujourd’hui je suis un brutal ; ils ont changé de joujoux ; qu’ils s’amusent. Mais, moi, je dis la vérité, et la vérité, c’est que vous, madame, qui avez la force, vous avez aussi le charme.

N’ayez pas peur de me voir trop chrétien. Je crois au Christ comme à Socrate, et en Dieu plus qu’à moi-même. Lisez, si vous continuez cette lecture, la chose intitulée Parenthèse. J’explique bien vite ce mot : en Dieu plus qu’en moi-même ; c’est-à-dire que je suis plus sûr de l’existence de Dieu que de la mienne propre.

Et vous, vous allez donc être heureuse, par-dessus le marché ! Vous mariez votre fils qui a en lui un rayon de vous. Ayez le succès à Paris, et le bonheur à Nohant. Vivez dans une gloire, c’est bien. Je baise vos mains, madame, et je vous remercie de vos adorables lettres. Je m’aperçois que je vous aime. Heureusement que je suis vieux.

Victor Hugo.

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