À Georges Métivier.

Hauteville-House, 18 juin 1866.

Je viens de lire, cher monsieur Métivier, les épreuves que vous avez bien voulu m’envoyer. Votre honorable lettre me touche vivement. Il n’y a pour moi que deux poëtes, le poëte universel et le poëte local. L’un incarne l’idée « Humanité », l’autre représente l’idée « Patrie ».

Ces idées sont jointes. Homère a été l’un, Burns a été l’autre.

Quelquefois, la patrie c’est le clocher, le village, le champ ; c’est la charrue ou la barque, toutes deux nourrices de l’homme. L’idée « Patrie », ramenée ainsi à son rudiment, se restreint sans l’amoindrir ; pour être moins auguste, elle n’est pas moins touchante, et ce qu’elle perd en majesté, elle le regagne en douceur.

C’est ce clocher natal, c’est ce mélancolique et profond champ des aïeux, c’est ce foyer sacré de la famille que je retrouve dans vos vers si savants dans leur naïveté, si gracieux dans leur rudesse.

Vous parlez avec un charme pénétrant de la bonne vieille langue normande. Je félicite votre pays de vous avoir. Ce que Burns a été pour l’Écosse, vous l’êtes pour Guernesey.

Votre pays est fier de vous et il a raison. Il donne à de plus grandes patries un noble exemple ; il vous couronne vivant. Il n’attend pas que vous soyez mort pour vous honorer. Vous êtes son esprit, vous êtes sa lumière ; il le sait et il vous salue. Une souscription locale, et que je n’hésite pas à appeler nationale, fait les frais de la publication de vos œuvres. C’est bien. C’est juste.

Guernesey fait là une digne et bonne chose, et je l’en glorifie.

Vous désirez gracieusement que je constate par un témoignage public, cette manifestation de vos compatriotes, et dans cette sorte de fête, donnée par votre patrie à votre esprit, vous voulez bien réclamer ma présence. Hélas ! je ne suis qu’un passant, et celui qui est absent de son pays ne peut être présent nulle part ; il est ombre. Toutefois, vous insistez. C’est à vos yeux « une faveur » et vous voulez bien me prier de vous « l’accorder ». Je vous l’accorde et je vous remercie.

Victor Hugo.

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