À Gilbert Lacroix.

H.-H., 21 janvier 66.

Le temps me manque, mon cher monsieur Lacroix, pour écrire de longues lettres. Suppléez, je vous prie, à mon laconisme forcé. Je vais tout de suite au fait :

Hypothèse d’un abus de confiance de votre part. Je n’ai rien dit de pareil. Je n’ai parlé que d’une indiscrétion possible. Un manuscrit inédit est une responsabilité que je ne dois laisser à personne. Mon mécontentement venait de votre persistance à le garder malgré mes réclamations. C’est ce qui me décidait à risquer plutôt la publication immédiate. L’ajournement me va, et me satisfait. Le manuscrit est rentré en mes mains. Tout est donc bien. Nous déciderons plus tard les questions de publication, d’opportunité, etc. — 1 franc — ou mieux : 75 centimes de mise en vente pourrait en effet résoudre la difficulté de loyauté qui me préoccupe.

Magnifique affaire Proudhon. Risquer une condamnation qui peut avoir des suites graves (une deuxième), je trouve cela fâcheux. Et pour qui ? pour un écrivain très adopté des bonapartistes, qui sont fort sceptiques eux aussi (le sénateur athée feu Vieillard, et tant d’autres, vivants), pour un écrivain qui avoue lui-même avoir, après le coup d’état, reçu de l’argent des Bonaparte, et avoir demandé une place au Sénat ! J’accepte, a-t-il écrit. Être condamné pour ce candidat sénateur, c’est perdre sa cause deux fois, devant les juges que je méprise, et devant la démocratie que je défends et que je sers. C’est là le sens, bien clair, de mon ironie : magnifique opération. Ces deux causes de mécontentement vous expliquent tout. Nul rapport ne m’a été fait. Je dédaigne la coalition d’ennemis dont vous me parlez ; elle a la minute, j’ai le temps. La minute vous importe à vous éditeur, je le comprends. Aussi, pour Les Travailleurs de la mer, je vous engage à bien écouter nos deux inébranlables et admirables amis Vacquerie et Meurice. Le chapitre préliminaire m’est rendu, l’incident Proudhon est un fait accompli, ne parlons plus de cela désormais, donnez aux Travailleurs de la mer le temps que vous laissera votre procès, s’il n’a pas de suites trop absorbantes, effacez de votre esprit cette fantasmagorie de rapports qu’on me fait, n’oubliez pas que je suis dans ce siècle un combattant de l’art, du progrès et de l’idéal, et qu’il me faut des éditeurs « ayant la foi », et tout cela dit, croyez à ma cordialité complète, et faisons évanouir tout ce petit passé d’hier dans une affectueuse poignée de main.

V. H.

Rendez-vous compte que vous ne voyez qu’une moitié de la situation. En même temps qu’il y a une coalition d’auteurs contre moi, il y a une coalition de libraires contre vous. Ceci du reste vous fait honneur.

Tel de ces libraires a l’habileté d’avoir la main dans huit ou dix journaux, de ce qu’on nomme particulièrement la petite presse, et dans quatre ou cinq revues, et il me le fait savoir.

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