H. H. 25 mai [1866] mercredi 4 h.
Ta lettre, chère amie, m’arrive trop tard, vu la tempête, pour que je t’envoie aujourd’hui l’argent d’Adèle. La banque ferme à trois heures. Je comptais te l’envoyer avec l’argent du mois prochain, en recevant ton compte. Mais puisque tu le désires tout de suite, je te l’enverrai par le courrier de lundi matin.
Julie va tout à fait bien, et je lui accorderai du reste toutes les vacances qu’elle désirera près de son mari ou de Clémentine (non à Bruxelles, ne pouvant augmenter mes charges) mais je serai forcé de rester ici le temps de son absence. La banque ne reçoit que des dépôts d’argent, espèces, pouvant entrer dans son coffre-fort, et tu ne te rends pas compte de ce que c’est que mes manuscrits. Sans compter ce qui est dans les armoires, ils remplissent trois malles, dont une énorme, qui ne tiendraient pas dans le coffre-fort de la banque de Guernesey. Voulût-on (ce qui est impossible) les y admettre, on ne pourrait les y mettre. Il faut donc quelqu’un de garde. Ce sera moi, si ce n’est Julie. Elle a écrit à son mari pour qu’il la reçoive à Paris. Je lui ai dit d’y rester tout le temps qui leur plaira, et que je l’attendrais ici. Mais certainement, il faut nous réunir ! Est-ce donc que vous avez abandonné notre plan, l’été a Guernesey, l’hiver à Bruxelles, tous ensemble ? Victor est une préoccupation douloureuse dans ce doux arrangement. Je ne veux pas qu’il souffre. Sans lui, je vous dirais : venez ici passer l’été, laissons s’éloigner la guerre et le choléra ; puis en novembre, nous partirons tous pour Bruxelles, et je m’engage à y rester jusqu’en février, ou même mars. Mais mon bien-aimé Victor est l’obstacle, je le sens. C’est pourquoi je vais aller vous rejoindre, dès que la question Julie sera décidée, si elle part, à son retour, si elle reste, le plus tôt possible. J’achève quelque chose en ce moment, mais ce sera vite fini. Chère bien-aimée, je t’embrasse, et j’embrasse autour de toi mon Charles, mon Victor, et cette douce et chère Alice.
Félicite notre excellent et cher ami G. Frédérix de ce mot profond : Ne pas confondre ceux qui méprisent l’humanité avec ceux qui la connaissent. Transmets-lui mon bravo.