À Paul Meurice.

H.-H., 4 avril [1866].

Il paraît que j’ai fait une bêtise. J’ai écrit affectueusement à un homme qui, me dit-on, serait votre ennemi. Voilà ce que c’est que d’ignorer. J’ai écrit sous l’influence d’un vieux souvenir d’un article très chaud sur Les Misérables. Du reste ma lettre affirme mes amitiés. Mais c’est égal, je m’en veux de n’avoir pas su que cette lettre allait à quelqu’un dont vous avez à vous plaindre. Je ne lis de journaux que ceux qu’on m’envoie, et j’ignore une foule de faits, c’est là mon excuse. Mais je suis triste. Vous êtes plus qu’un ami pour moi ; vous êtes un alter ego, vous êtes un moi-même. Je me sens une fraternité profonde avec votre fier et noble esprit, je vous aime de toutes les formes de l’amitié à la fois. Votre cœur de diamant est un des points d’appui de mon exil. Je me sens triompher quand on vous applaudit, et il me semble que mes succès (quand j’en ai, rara avis) sont vôtres. D’ailleurs, ces succès, que seraient-ils sans vous, sans votre sollicitude, sans votre omniprésence, sans votre doux et ferme et infatigable concours ? Je ne pense à vous qu’attendri. Si je vous ai fait de la peine, je ne me consolerai pas. Écrivez-moi si cela est. J’ai bien plus de sensibilité en ce qui vous touche qu’en ce qui me concerne. On peut me frapper, je souris ; si l’on vous effleure, je souffre. Ce nuage est venu se mêler à ma joie du nouveau triomphe de mon cher Fanfan la Tulipe. C’est ma femme qui m’a écrit.

Je me dépêche de vous envoyer tout mon cœur. Je vous aime tant !

V.

Un mot de nos incidents. — Comment se fait-il que M. Lacroix n’ait averti personne ? Maintenant que faire ? Blâmer tout haut, ce serait nuire. Il a pris là une grave responsabilité. — Du reste, si par suite, la vente en volumes faiblit, ce fléchissement ne sera que momentané.

Je pense en outre que tout le monde comprendra bien que cette publication en feuilletons n’est point une inconséquence de ma part ; d’abord que je n’y suis pour rien, c’est le fait de l’éditeur ; ensuite que la question pour moi, c’est que le livre soit préalablement publié en entier. Or il l’est.

Je vous écris tout ceci un peu au hasard, à travers le chagrin que j’ai s’il est vrai que je vous aie, bien involontairement, attristé. N’oubliez pas que vous êtes, avec quelques êtres chers, le fond même de mon cœur. Je vous prie de me pardonner ma bêtise, et je vous serre dans mes bras.

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