À Monsieur Canellopoulo.

Hauteville-House, 19 décembre 1868.

Monsieur,

Votre lettre éloquente m’a vivement touché. Oui, vous avez raison de compter sur moi. Le peu que je suis et le peu que je puis appartient à votre noble cause. La cause de la Crète est celle de la Grèce et la cause de la Grèce est celle de l’Europe. Ces enchaînements-là échappent aux rois et sont pourtant la grande logique. La diplomatie n’est autre chose que la ruse des princes contre la logique de Dieu. Mais dans un temps donné Dieu a raison.

Dieu et Droit sont synonymes. Je ne suis qu’une voix, opiniâtre, mais perdue dans le tumulte triomphal des iniquités régnantes. Qu’importe, écouté ou non, je ne me lasserai pas. Vous me dites que la Crète me demande ce que l’Espagne m’a demandé. Hélas ! je ne puis que pousser un cri. Pour la Crète je l’ai fait déjà, je le ferai encore. Oui, comptez sur moi. J’appartiens à la Grèce autant qu’à la France. Je donnerais pour la Grèce mes strophes comme Tyrtée et mon sang comme Byron. Votre pays sacré a mon profond amour. Je pense à Athènes comme on pense au soleil.

Je vous serre la main.

Victor Hugo.

Félicitez de ma part l’excellent traducteur d’Hernani. Je suis fier de me voir dans la langue d’Homère.

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