À Madame XXX.

Hauteville-House, 7 novembre 1867.

Je m’empresse, Madame, de vous répondre. Votre gracieuse lettre me charme et m’attriste. Hélas, vous êtes donc, vous aussi, de ceux qui ne me croient point quand je parle de mon isolement. Je suis en ce monde un mécontent, et par conséquent un solitaire. Je n’y connais plus que Tout le Monde. C’est-à-dire Personne. En Amérique, je connaissais deux hommes, John Brown, qu’on a pendu, et Lincoln, qu’on a poignardé. En Italie, je connais Garibaldi, vaincu ; en Crète, Zimbrakakis, traqué ; en Russie, Herzen, chassé. Tel est mon bilan. J’ai demandé à Victoria la grâce du fenian Burke ; je l’ai eue. J’ai demandé à Juarez la vie de Maximilien. Trop tard. Mais l’eût-il accordée ? Je ne connais point M. Johnson, qui est un traître. Je suis un proscrit ; si jamais vous êtes proscrite, nous ferons la paire. En supposant qu’un hibou puisse nicher près d’une fauvette. Vous me demandez si j’ai fait des vers sur l’Égypte ? Oui. Dans les Orientales (le feu du Ciel). Il y a en outre Bounaherdi. Si j’ai fait des vers sur l’Amérique ? Oui, dans les Châtiments. Vous allez donc passer la mer ? Vos blanches ailes ne craignent point les grands espaces. Vous êtes faite pour planer, ayant la beauté et l’esprit. Je ne connais pas un journaliste en Amérique, quoique plusieurs me soient sympathiques. Si vous rencontrez une belle américaine, Madame Montgomery Atwood (en Europe en ce moment, je crois), montrez-lui cette lettre Elle a influence dans plusieurs grands journaux, et vous aidera gracieusement. Je ne puis écrire tout ce que je dirais, la police de France intercepte mes lettres. Soyez heureuse, Madame. Vous méritez le succès. Vous l’aurez. Je me mets à vos pieds.

Victor Hugo.

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