III

Ô proscrits ! hommes de l’épreuve,

Mes compagnons vaillants et doux,

Bien des fois, assis près du fleuve,

J’ai chanté ce chant parmi vous ;

Bien des fois, quand vous m’entendîtes,

Plusieurs m’ont dit : « Perds ton espoir.

Nous serions des races maudites,

Le ciel ne serait pas plus noir !

» Que veut dire cette inclémence ?

Quoi ! le juste a le châtiment !

La vertu s’étonne et commence

À regarder Dieu fixement.

» Dieu se dérobe et nous échappe.

Quoi donc ! l’iniquité prévaut !

Le crime, voyant où Dieu frappe,

Rit d’un rire impie et dévot.

» Nous ne comprenons pas ses voies.

Comment ce Dieu des nations
Fera-t-il sortir tant de joies

De tant de désolations ?

» Ses desseins nous semblent contraires

À l’espoir qui luit dans tes yeux… »

— Mais qui donc, ô proscrits, mes frères,

Comprend le grand mystérieux ?

Qui donc a traversé l’espace,

La terre, l’eau, l’air et le feu,

Et l’étendue où l’esprit passe ?

Qui donc peut dire : « J’ai vu Dieu !

» J’ai vu Jéhova ! je le nomme !

Tout à l’heure il me réchauffait.

Je sais comment il a fait l’homme,

Comment il fait tout ce qu’il fait.

» J’ai vu cette main inconnue,

Qui lâche en s’ouvrant l’âpre hiver,

Et les tonnerres dans la nue,

Et les tempêtes sur la mer,

» Tendre et ployer la nuit livide ;

Mettre une âme dans l’embryon ;

Appuyer dans l’ombre du vide

Le pôle du septentrion ;
» Amener l’heure où tout arrive ;

Faire au banquet du roi fêté

Entrer la mort, ce noir convive

Qui vient sans qu’on l’ait invité ;
» Créer l’araignée et sa toile,

Peindre la fleur, mûrir le fruit,

Et, sans perdre une seule étoile,

Mener tous les astres la nuit ;

» Arrêter la vague à la rive ;

Parfumer de roses l’été ;

Verser le temps comme une eau vive

Des urnes de l’éternité ;

» D’un souffle, avec ses feux sans nombre,

Faire, dans toute sa hauteur,

Frissonner le firmament sombre

Comme la tente d’un pasteur ;

» Attacher les globes aux sphères

Par mille invisibles liens…

Toutes ces choses sont très claires,

Je sais comment il fait ! j’en viens ! »

Qui peut dire cela ? personne.

Nuit sur nos cœurs ! nuit sur nos yeux !

L’homme est un vain clairon qui sonne.

Dieu seul parle aux axes des cieux.

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