II

Aujourd’hui c’est la ville où toute honte échoue.

Là quiconque est abject, horrible et malfaisant,

Quiconque un jour plongea son honneur dans la boue,

Noya son âme dans le sang,

Là, le faux monnayeur pris la main sur sa forge,

L’homme du faux serment et l’homme du faux poids,

Le brigand qui s’embusque et qui saute à la gorge

Des passants, la nuit, dans les bois,

Là, quand l’heure a sonné, cette heure nécessaire,

Toujours, quoi qu’il ait fait pour fuir, quoi qu’il ait dit,

Le pirate hideux, le voleur, le faussaire,

Le parricide, le bandit,

Qu’il sorte d’un palais ou qu’il sorte d’un bouge,

Vient, et trouve une main, froide comme un verrou,

Qui sur le dos lui jette une casaque rouge,

Et lui met un carcan au cou.

L’aurore luit, pour eux sombre, et pour nous vermeille.

Allons ! debout ! Ils vont vers le sombre océan,

Il semble que leur chaîne avec eux se réveille,

Et dit : me voilà ; viens-nous-en !

Ils marchent, au marteau présentant leurs manilles,

À leur chaîne cloués, mêlant leurs pas bruyants,

Traînant leur pourpre infâme en hideuses guenilles,

Humbles, furieux, effrayants.

Les pieds nus, leur bonnet baissé sur leurs paupières,

Dès l’aube harassés, l’œil mort, les membres lourds,

Ils travaillent, creusant des rocs, roulant des pierres,

Sans trêve, hier, demain, toujours.

Pluie ou soleil, hiver, été, que juin flamboie,

Que janvier pleure, ils vont, leur destin s’accomplit,

Avec le souvenir de leurs crimes pour joie,

Avec une planche pour lit.

Le soir, comme un troupeau l’argousin vil les compte.

Ils montent deux à deux l’escalier du ponton,

Brisés, vaincus, le cœur incliné sous la honte,

Le dos courbé sous le bâton.

La pensée implacable habite encor leurs têtes.

Morts vivants, aux labeurs voués, marqués au front,

Ils rampent, recevant le fouet comme des bêtes,

Et comme des hommes l’affront.