II

Le soir qui verse, ô mystère !

Le ciel noir sur le ciel bleu,

Entre l’espace et la terre

Pose une barre de feu.

Le couchant, dorant mon bouge,

Ferme, sur l’ombre où je suis,

Comme un verrou de fer rouge,

La porte énorme des nuits.

Cherchant au ciel des étoiles,

Vous écoutez, matelots,

Ce que le frisson des voiles

Dit au tremblement des flots.

La bise, bouche vivante,

Les vents, les bruits, les typhons,

Toute la grande épouvante

Erre sous les cieux profonds.

Je baisse mes yeux funèbres ;

Je me sens dans ma terreur

Compagnon de ces ténèbres

Et frère de cette horreur.

L’homme, en proie aux maux sans nombre,

Porte en son cœur, morne enfer,

Toute la honte de l’ombre,

De l’abîme et de la chair.

Je sens que ce crépuscule

Me pénètre soucieux,

Et qu’en moi l’âme recule

Comme le jour dans les cieux.

Il semble que tout s’altère,

Se traîne, expire ou s’abat,

Et qu’il reste de la terre

Ce qui reste d’un combat.

L’arbre, près du flot qui râle,

Tord ses bras comme un banni ;

On ne sait quel reflet pâle

Des lueurs de l’infini

Perce les bois sans feuillée,

Et teint d’un livide éclair

Cette cuirasse écaillée

Que nous appelons la mer.

Tandis que l’occident sombre

Lutte contre le néant,

Le levant s’emplit de l’ombre

De tout le gouffre béant.

Une main — est-ce la vôtre,

Dieu ? — tire, en l’azur désert,

Les astres l’un après l’autre

Du puits de l’abîme ouvert.

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