V

Dieu ! que Palestrina, dans l’homme et dans les choses,

Dut entendre de voix joyeuse et moroses !

Comme on sent qu’à cet âge où notre cœur sourit,

Où lui déjà pensait, il a dans son esprit

Emporté, comme un fleuve à l’onde fugitive,

Tout ce que lui jetait la nuée ou la rive !

Comme il s’est promené, tout enfant, tout pensif,

Dans les champs, et, dès l’aube, au fond du bois massif,

Et près du précipice, épouvante des mères !

Tour à tour noyé d’ombre, ébloui de chimères,

Comme il ouvrait son âme alors que le printemps

Trempe la berge en fleur dans l’eau des clairs étangs,

Que le lierre remonte aux branches favorites,

Que l’herbe aux boutons d’or mêle les marguerites !

À cette heure indécise où le jour va mourir,

Où tout s’endort, le cœur oubliant de souffrir,

Les oiseaux de chanter et les troupeaux de paître,

Que de fois sous ses yeux un chariot champêtre,

Groupe vivant de bruit, de chevaux et de voix,

A gravi sur le flanc du coteau dans les bois

Quelque route creusée entre les ocres jaunes,

Tandis que, près d’une eau qui fuyait sous les aulnes,

Il écoutait gémir dans les brumes du soir

Une cloche enrouée au fond d’un vallon noir !

Que de fois, épiant la rumeur des chaumières,

Le brin d’herbe moqueur qui siffle entre deux pierres,

Le cri plaintif du soc gémissant et traîné,

Le nid qui jase au fond du cloître ruiné

D’où l’ombre se répand sur les tombes des moines,

Le champ doré par l’aube où causent les avoines

Qui pour nous voir passer, ainsi qu’un peuple heureux,

Se penchent en tumulte au bord du chemin creux,

L’abeille qui gaiement chante et parle à la rose,

Parmi tous ces objets dont l’être se compose,

Que de fois il rêva, scrutateur ténébreux,

Cherchant à s’expliquer ce qu’ils disaient entre eux !

Et chaque soir, après ses longues promenades,

Laissant sous les balcons rire les sérénades,

Quand il s’en revenait content, grave et muet,

Quelque chose de plus dans son cœur remuait.

Mouche, il avait son miel ; arbuste, sa rosée.

Il en vint par degrés à ce qu’en sa pensée

Tout vécut. — Saint travail que les poètes font ! —

Dans sa tête, pareille à l’univers profond,

L’air courait, les oiseaux chantaient, la flamme et l’onde

Se courbaient, la moisson dorait la terre blonde,

Et les toits et les monts et l’ombre qui descend

Se mêlaient, et le soir venait, sombre et chassant

La brute vers son antre et l’homme vers son gîte,

Et les hautes forêts, qu’un vent du ciel agite,

Joyeuses de renaître au départ des hivers,

Secouaient follement leurs grands panaches verts !

C’est ainsi qu’esprit, forme, ombre, lumière et flamme,

L’urne du monde entier s’épancha dans son âme !

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