ODE VINGT-CINQUIÈME. RÊVES.

En la amena soledad
de aquesta apacible estancia,
bellisimo laberinto
de arboles, flores, y plantas,
Podeis dexarme, dexando
conmigo, que ellos me bastan
por companîa, los libros
que os mande sacar de casa ;
que yo, en tanto que Antioquia
cèlebra con fiestas tantas
la fabrica de esse templo,
que oy à Jupiter consagra,
· · · · · · · · · · · · · · ·
huyendo del gran bullicio,
que hay en sus calles, y plazas,
passar estudiando quiero
la edad que al dia le falta.

Calderon.
El Magico prodigioso.

I

Amis, loin de la ville,

Loin des palais de roi,

Loin de la cour servile,

Loin de la foule vile,

Trouvez-moi, trouvez-moi,

Aux champs où l’âme oisive

Se recueille en rêvant,

Sur une obscure rive

Où du monde n’arrive

Ni le flot, ni le vent,

Quelque asile sauvage,

Quelque abri d’autrefois,

Un port sur le rivage,

Un nid sous le feuillage,

Un manoir dans les bois !

Trouvez-le-moi bien sombre,

Bien calme, bien dormant,

Couvert d’arbres sans nombre,

Dans le silence et l’ombre,

Caché profondément !

Que là, sur toute chose,

Fidèle à ceux qui m’ont,

Mon vers plane, et se pose

Tantôt sur une rose,

Tantôt sur un grand mont.

Qu’il puisse avec audace,

De tout nœud détaché,

D’un vol que rien ne lasse,

S’égarer dans l’espace

Comme un oiseau lâché.

II

Qu’un songe au ciel m’enlève,

Que, plein d’ombre et d’amour,

Jamais il ne s’achève,

Et que la nuit je rêve

À mon rêve du jour !

Aussi blanc que la voile

Qu’à l’horizon je voi,

Qu’il recèle une étoile,

Et qu’il soit comme un voile

Entre la vie et moi !

Que la muse qui plonge

En ma nuit pour briller,

Le dore et le prolonge,

Et de l’éternel songe

Craigne de m’éveiller !

Que toutes mes pensées

Viennent s’y déployer,

Et s’asseoir, empressées,

Se tenant embrassées,

En cercle à mon foyer !

Qu’à mon rêve enchaînées,

Toutes, l’œil triomphant,

Le bercent inclinées,

Comme des sœurs aînées

Bercent leur frère enfant !

III

On croit sur la falaise,

On croit dans les forêts,

Tant on respire à l’aise,

Et tant rien ne nous pèse,

Voir le ciel de plus près.

Là, tout est comme un rêve ;

Chaque voix a des mots,

Tout parle, un chant s’élève

De l’onde sur la grève,

De l’air dans les rameaux.

C’est une voix profonde,

Un chœur universel,

C’est le globe qui gronde,

C’est le roulis du monde

Sur l’océan du ciel.

C’est l’écho magnifique

Des voix de Jéhova,

C’est l’hymne séraphique

Du monde pacifique

Où va ce qui s’en va ;

Où, sourde aux cris de femmes,

Aux plaintes, aux sanglots,

L’âme se mêle aux âmes,

Comme la flamme aux flammes,

Comme le flot aux flots !

IV

Ce bruit vaste, à toute heure,

On l’entend au désert.

Paris, folle demeure,

Pour cette voix qui pleure

Nous donne un vain concert.

Oh ! la Bretagne antique !

Quelque roc écumant !

Dans la forêt celtique

Quelque donjon gothique !

Pourvu que seulement

La tour hospitalière

Où je pendrai mon nid,

Ait, vieille chevalière,

Un panache de lierre

Sur son front de granit.

Pourvu que, blasonnée

D’un écusson altier,

La haute cheminée,

Béante, illuminée,

Dévore un chêne entier ;

Que, l’été, la charmille

Me dérobe un ciel bleu ;

Que l’hiver ma famille,

Dans l’âtre assise, brille

Toute rouge au grand feu ;

Dans les bois, mes royaumes,

Si le soir l’air bruit,

Qu’il semble, à voir leurs dômes,

Des têtes de fantômes

Se heurtant dans la nuit ;

Que des vierges, abeilles

Dont les cieux sont remplis,

Viennent sur moi, vermeilles,

Secouer dans mes veilles

Leur robe à mille plis !

Qu’avec des voix plaintives

Les ombres des héros

Repassent fugitives,

Blanches sous mes ogives,

Sombres sur mes vitraux !

V

Si ma muse envolée

Porte son nid si cher

Et sa famille ailée

Dans la salle écroulée

D’un vieux baron de fer ;

C’est que j’aime ces âges

Plus beaux, sinon meilleurs,

Que nos siècles plus sages ;

À leurs débris sauvages

Je m’attache, et d’ailleurs

L’hirondelle enlevée

Par son vol sur la tour,

Parfois, des vents sauvée,

Choisit pour sa couvée

Un vieux nid de vautour.

Sa famille humble et douce,

Souvent, en se jouant,

Du bec remue et pousse,

Tout brisé sur la mousse,

L’œuf de l’oiseau géant.

Dans les armes antiques

Mes vers ainsi joueront,

Et, remuant des piques,

Riront, nains fantastiques,

De grands casques au front.

VI

Ainsi noués en gerbe,

Reverdiront mes jours

Dans le donjon superbe,

Comme une touffe d’herbe

Dans les brèches des tours.

Mais, donjon ou chaumière,

Du monde délié,

Je vivrai de lumière,

D’extase et de prière,

Oubliant, oublié !

4 juin 1828.

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