II

Fuis les banquets, fais trêve à ton joyeux délire,

Paris, triste cité ! détourne tes regards

Vers le cirque où l’on voit aux accords de la lyre

S’unir les prestiges des arts.

Chœurs, interrompez-vous ; cessez, danses légères ;

Qu’on change en torches funéraires

Ces feux purs, ces brillants flambeaux ; —

Dans cette enceinte, auprès d’une couche sanglante,

J’entends un prêtre saint dont la voix chancelante

Dit la prière des tombeaux.

Sous ces lambris, frappés des éclats de la joie,

Près d’un lit où soupire un mourant étendu,

D’une famille auguste, au désespoir en proie,

Je vois le cortège éperdu.

C’est un père à genoux, c’est un frère en alarmes,

Une sœur qui n’a point de larmes

Pour calmer ses sombres douleurs ;

Car ses affreux revers ont, dès son plus jeune âge,

Dans ses yeux, enflammés d’un si mâle courage,

Tari la source de ses pleurs.

Sur l’échafaud, aux cris d’un sénat sanguinaire,

Sa mère est morte en reine et son père en héros ;

Elle a vu dans les fers périr son jeune frère,

Et n’a pu trouver des bourreaux.

Et, quand des rois ligués la main brisa ses chaînes,

Longtemps, sur des rives lointaines,

Elle a fui nos bords désolés ;

Elle a revu la France, après tant de misères,

Pour apprendre, en rentrant au palais de ses pères,

Que ses maux n’étaient pas comblés.

Plus loin, c’est une épouse… Oh ! qui peindra ses craintes,

Sa force, ses doux soins, son amour assidu ?

Hélas ! et qui dira ses lamentables plaintes,

Quand tout espoir sera perdu ?

Quels étaient nos transports, ô vierge de Sicile,

Quand naguère à ta main docile

Berry joignit sa noble main !

Devais-tu donc, princesse, en touchant ce rivage,

Voir sitôt succéder le crêpe du veuvage

Au chaste voile de l’hymen ?

Berry, quand nous vantions ta paisible conquête,

Nos chants ont réveillé le dragon endormi ;

L’Anarchie en grondant a relevé sa tête,

Et l’enfer même en a frémi.

Elle a rugi ; soudain, du milieu des ténèbres,

Clément poussa des cris funèbres,

Ravaillac agita ses fers ;

Et le monstre, étendant ses deux ailes livides,

Aux applaudissements des ombres régicides,

S’envola du fond des enfers.

Le démon, vers nos bords tournant son vol funeste,

Voulut, brisant ces lys qu’il flétrit tant de fois,

Épuiser d’un seul coup le déplorable reste

D’un sang trop fertile en bons rois.

Longtemps le sbire obscur qu’il arma pour son crime,

Rêveur, autour de la victime

Promena ses affreux loisirs ;

Enfin le ciel permet que son vœu s’accomplisse ;

Pleurons tous, car le meurtre a choisi pour complice

Le tumulte de nos plaisirs.

Le fer brille… un cri part : guerriers, volez aux armes !

C’en est fait ; la duchesse accourt en pâlissant ;

Son bras soutient Berry, qu’elle arrose de larmes,

Et qui l’inonde de son sang.

Dressez un lit funèbre : est-il quelque espérance ?…

Hélas ! un lugubre silence

A condamné son triste époux.

Assistez-le, madame, en ce moment horrible ;

Les soins cruels de l’art le rendront plus terrible,

Les vôtres le rendront plus doux.

Monarque en cheveux blancs, hâte-toi, le temps presse ;

Un Bourbon va rentrer au sein de ses aïeux ;

Viens, accours vers ce fils, l’espoir de ta vieillesse ;

Car ta main doit fermer ses yeux !

Il a béni sa fille, à son amour ravie ;

Puis, des vanités de sa vie

Il proclame un noble abandon ;

Vivant, il pardonna ses maux à la patrie ;

Et son dernier soupir, digne du Dieu qu’il prie,

Est encore un cri de pardon.

Mort sublime ! ô regrets ! vois sa grande âme et pleure,

Porte au ciel tes clameurs, ô peuple désolé !

Tu l’as trop peu connu ; c’est à sa dernière heure

Que le héros s’est révélé.

Pour consoler la veuve, apportez l’orpheline ;

Donnez sa fille à Caroline,

La nature encore a ses droits.

Mais, quand périt l’espoir d’une tige féconde,

Qui pourra consoler, dans sa terreur profonde,

La France, veuve de ses rois ?

À l’horrible récit, quels cris expiatoires

Vont pousser nos guerriers, fameux par leur valeur !

L’Europe, qu’ébranlait le bruit de leurs victoires,

Va retentir de leur douleur.

Mais toi, que diras-tu, chère et noble Vendée ?

Si longtemps de sang inondée,

Tes regrets seront superflus ;

Et tu seras semblable à la mère accablée,

Qui s’assied sur sa couche et pleure inconsolée,

Parce que son enfant n’est plus !

Bientôt vers Saint-Denis, désertant nos murailles,

Au bruit sourd des clairons, peuple, prêtres, soldats,

Nous suivrons à pas lents le char des funérailles,

Entouré des chars des combats.

Hélas ! jadis souillé par des mains téméraires,

Saint-Denis, où dormaient ses pères,

A vu déjà bien des forfaits ;

Du moins, puisse, à l’abri des complots parricides,

Sous ces murs profanés, parmi ces tombes vides,

Sa cendre reposer en paix !

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