II

Sous des murs entourés de cohortes sanglantes,

Siége le sombre tribunal.

L’accusateur se lève, et ses lèvres tremblantes

S’agitent d’un rire infernal.

C’est Tinville : on le voit, au nom de la patrie,

Convier aux forfaits cette horde flétrie

D’assassins, juges à leur tour ;

Le besoin du sang le tourmente ;

Et sa voix homicide à la hache fumante

Désigne les têtes du jour.

Il parle : ses licteurs vers l’enceinte fatale

Traînent les malheureux que sa fureur signale ;

Les portes devant eux s’ouvrent avec fracas ;

Et trois vierges, de grâce et de pudeur parées,

De leurs compagnes entourées,

Paraissent parmi les soldats.

Le peuple, qui se tait, frémit de son silence ;

Il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs,

Et repose sur l’innocence

Ses regards las du crime et troublés par ses pleurs.

Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées,

Vers ces juges de mort s’avançaient dans les fers,

Ces murs n’ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées,

Rendu les monstres aux enfers !

Que faisaient nos guerriers ?… Leur vaillance trompée

Prêtait au vil couteau le secours de l’épée ;

Ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats.

Hélas ! un même jour, jour d’opprobre et de gloire,

Voyait Moreau monter au char de la victoire,

Et son père au char du trépas !

Quand nos chefs, entourés des armes étrangères,

Couvrant nos cyprès de lauriers,

Vers Paris lentement reportaient leurs bannières,

Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers.

Verdun, premier rempart de la France opprimée,

D’un roi libérateur crut saluer l’armée.

En vain tonnaient d’horribles lois ;

Verdun se revêtit de sa robe de fête,

Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête

Au monarque vengeur des rois.

Alors, vierges, vos mains (ce fut là votre crime !)

Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs.

Ah ! pareilles à la victime,

La hache à vos regards se cachait sous des fleurs.

Ce n’est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance,

Quand nos bannis, bravant la mort et l’indigence,

Combattaient nos tyrans encor mal affermis,

Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ;

Votre or a secouru ceux qui furent nos frères

Et n’étaient pas nos ennemis.

Quoi ! ce trait glorieux, qui trahit leur belle âme,

Sera donc l’arrêt de leur mort !

Mais non, l’accusateur, que leur aspect enflamme,

Tressaille d’un honteux transport.

Il veut, vierges, au prix d’un affreux sacrifice,

En taisant vos bienfaits, vous ravir au supplice ;

Il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus.

Du mépris qui le couvre acceptez le partage,

Souillez-vous d’un forfait, l’infâme aréopage

Vous absoudra de vos vertus.

Répondez-moi, vierges timides ;

Qui, d’un si noble orgueil arma ces yeux si doux ?

Dites, qui fit rouler dans vos regards humides

Les pleurs généreux du courroux ?

Je le vois à votre courage :

Quand l’oppresseur qui vous outrage

N’eût pas offert la honte en offrant son bienfait,

Coupables de pitié pour des français fidèles,

Vous n’auriez pas voulu, devant des lois cruelles,

Nier un si noble forfait !

C’en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte

A retenti l’arrêt dicté par la fureur.

Dans un muet murmure, étouffé par la crainte,

Le peuple, qui l’écoute, exhale son horreur.

Regagnez des cachots les sinistres demeures,

Ô vierges ! encor quelques heures…

Ah ! priez sans effroi, votre âme est sans remord.

Coupez ces longues chevelures,

Où la main d’une mère enlaçait des fleurs pures,

Sans voir qu’elle y mêlait les pavots de la mort !

Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête ;

Les anges vous rendront ces symboles touchants ;

Votre hymne de trépas sera l’hymne de fête

Que les vierges du ciel rediront dans leurs chants.

Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d’innocence,

Charlotte, autre Judith, qui vous vengea d’avance ;

Cazotte ; Élisabeth, si malheureuse en vain ;

Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines

Le sang glacé des morts circulant dans ses veines ;

Martyres, dont l’encens plaît au Martyr divin !

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