III

Ah ! nous ne sommes plus au temps où le poëte

Parlait au ciel en prêtre, à la terre en prophète !

Que Moïse, Isaïe, apparaisse en nos champs,

Les peuples qu’ils viendront juger, punir, absoudre,

Dans leurs yeux pleins d’éclairs méconnaîtront la foudre

Qui tonne en éclats dans leurs chants.

Vainement ils iront s’écriant dans les villes :

« Plus de rébellions ! plus de guerres civiles !

Aux autels du veau d’or pourquoi danser toujours ?

Dagon va s’écrouler, Baal va disparaître.

Le Seigneur a dit à son prêtre :

Pour faire pénitence ils n’ont que peu de jours !

« Rois, peuples, couvrez-vous d’un sac souillé de cendre !

Bientôt sur la nuée un juge doit descendre.

Vous dormez ! que vos yeux daignent enfin s’ouvrir.

Tyr appartient aux flots, Gomorrhe à l’incendie.

Secouez le sommeil de votre âme engourdie,

Et réveillez-vous pour mourir !

« Ah ! malheur au puissant qui s’enivre en des fêtes,

Riant de l’opprimé qui pleure, et des prophètes !

Ainsi que Balthazar, ignorant ses malheurs,

Il ne voit pas aux murs de la salle bruyante

Les mots qu’une main flamboyante

Trace en lettres de feu parmi les nœuds de fleurs !

« Il sera rejeté comme ce noir génie,

Effrayant par sa gloire et par son agonie,

Qui tomba jeune encor, dont ce siècle est rempli.

Pourtant Napoléon du monde était le faîte.
Ses pieds éperonnés des rois pliaient la tête,

Et leur tête gardait le pli.

« Malheur donc ! — Malheur même au mendiant qui frappe,

Hypocrite et jaloux, aux portes du satrape !

À l’esclave en ses fers ! au maître en son château !

À qui, voyant marcher l’innocent aux supplices,

Entre deux meurtriers complices,

N’étend point sous ses pas son plus riche manteau !

« Malheur à qui dira : Ma mère est adultère !

À qui voile un cœur vil sous un langage austère !

À qui change en blasphème un serment effacé !

Au flatteur médisant, reptile à deux visages !

À qui s’annoncera sage entre tous les sages !

Oui, malheur à cet insensé !

« Peuples, vous ignorez le Dieu qui vous fit naître !

Et pourtant vos regards le peuvent reconnaître

Dans vos biens, dans vos maux, à toute heure, en tout lieu !

Un Dieu compte vos jours, un Dieu règne en vos fêtes !

Lorsqu’un chef vous mène aux conquêtes,

Le bras qui vous entraîne est poussé par un Dieu !

« À sa voix, en vos temps de folie et de crime,

Les révolutions ont ouvert leur abîme.

Les justes ont versé tout leur sang précieux ;

Et les peuples, troupeau qui dormait sous le glaive,

Ont vu, comme Jacob, dans un étrange rêve,

Des anges remonter aux cieux !

« Frémissez donc ! Bientôt, annonçant sa venue,

Le clairon de l’archange entr’ouvrira la nue.

Jour d’éternels tourments ! jour d’éternel bonheur !

Resplendissant d’éclairs, de rayons, d’auréoles,

Dieu vous montrera vos idoles,

Et vous demandera : — Qui donc est le Seigneur ?

« La trompette, sept fois sonnant dans les nuées,

Poussera jusqu’à lui, pâles, exténuées,

Les races, à grands flots se heurtant dans la nuit ;

Jésus appellera sa mère virginale ;

Et la porte céleste, et la porte infernale,

S’ouvriront ensemble avec bruit !

« Dieu vous dénombrera d’une voix solennelle.

Les rois se courberont sous le vent de son aile.

Chacun lui portera son espoir, ses remords.

Sous les mers, sur les monts, au fond des catacombes,

À travers le marbre des tombes,

Son souffle remûra la poussière des morts !

« Ô siècle ! arrache-toi de tes pensers frivoles.

L’air va bientôt manquer dans l’espace où tu voles !

Mortels ! gloire, plaisirs, biens, tout est vanité !

À quoi pensez-vous donc, vous qui dans vos demeures

Voulez voir en riant entrer toutes les heures ?…

L’Éternité ! L’Éternité ! »

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