Chapitre IILiberté du culte

Caractère d’humiliation du culte protestant. – Maxime du prince de Condé. – Temples supprimés. – Ministres interdits. – La désolation des provinces du midi. – L’insurrection des Cévennes. – Les assemblées. – Les pasteurs du désert. – Reprise générale du culte protestant. – Mariages et baptêmes. – L’édit de 1787.

L’édit de Nantes n’avait pas, en ce qui concerne l’exercice du culte, placé sur un pied d’égalité la religion catholique et la religion protestante. Le culte catholique était librement célébré sur tous les points du royaume et avait partout la première place, tandis que l’exercice du culte protestant n’était autorisé que dans les lieux où il avait existé avant 1597.

Jusqu’à 1573, les édits royaux avaient qualifié le protestantisme de religion nouvelle, l’édit de Nantes l’appela religion prétendue réformée, puis défense fut faite aux pasteurs de prendre un autre titre que celui de ministres de la religion prétendue réformée, et, dans tous les actes publics, les huguenots durent être qualifiés de prétendus réformés. Rien ne fut négligé, du reste, pour accuser ce caractère d’humiliation qu’on voulait donner au protestantisme, afin de mieux marquer la différence de situation de la religion tolérée et de la religion maîtresse et dominante, de la réformée qui est toute fausse et de la catholique qui est toute sainte et toute sacrée, ainsi que le disait l’évêque d’Uzès.

Non seulement on défendit aux gentilshommes huguenots de se faire enterrer dans les cimetières catholiques ou dans les caveaux des églises, sous prétexte que les tombeaux de leurs pères y étaient ou qu’ils avaient quelque droit de patronage ou de seigneurie, mais encore les cimetières communs aux morts des deux religions, durent être abandonnés aux catholiques. Les huguenots qui avaient réclamé vainement contre l’appellation de prétendus réformés qu’on leur imposait, protestèrent énergiquement, sans plus de succès, contre cette prescription d’avoir à enterrer leurs morts à part, ce qui les marquait, disaient-ils, d’une tache odieuse et flétrissante.

« Pourquoi, dit une requête des églises réformées, nous assigner des cimetières à part ? Nos pères avaient leur droit en ceux qui étaient déjà, et étaient publics et communs. Ne nous ont-ils pas laissés héritiers de leurs droits en cela, aussi bien qu’en cet air français que nous humons, aussi bien qu’en ces villes que nous hantons, aussi bien qu’en ces maisons que nous habitons ? »

Aujourd’hui encore, nous voyons sans cesse de graves difficultés se produire par suite de la prétention de l’Église catholique de faire inhumer à part, tous ceux, catholiques ou non catholiques, qu’elle n’a pas pu ou voulu enterrer religieusement. Cette prétention se base sur ce qu’elle aurait fait siens, les cimetières, propriétés communales, en leur donnant une bénédiction générale qui aurait transformé leur sol en terre sainte.

Dans un certain nombre de localités on a cru prévenir le retour de difficultés de ce genre, en attribuant à chaque culte différent, une portion du cimetière, mais cette solution n’est pas satisfaisante, car le mort peut n’avoir, de son vivant, appartenu à aucun culte. La ville de Paris a trouvé la vraie solution du problème. Elle a astreint, le clergé catholique à bénir chaque fosse isolément, à ne plus étendre sa bénédiction au cimetière tout entier. De cette façon, catholiques, protestants, juifs, libres penseurs, sont enterrés côte à côte et non plus à part, et le cimetière est vraiment ce qu’il doit être, le lieu de repos commun pour tous les morts.

L’Église n’admettant pas la tolérance, même pour les morts, les cléricaux de la chambre des députés faisaient preuve d’illogisme en 1885, lorsqu’ils demandaient, à l’occasion de la proposition d’inhumer Victor Hugo au Panthéon, que cet édifice continuât à être consacré à l’exercice du culte catholique.

M. Goblet leur répondait avec raison : « Ce grand esprit était profondément religieux. Je rappellerai cet admirable testament dans lequel, tout en répudiant tous les dogmes et en déclinant les prières des prêtres, il proclamait sa foi en Dieu ; mais parce qu’il croyait en Dieu d’une manière différente de la vôtre, vous lui auriez fermé les portes, de votre église. Je vous le demande, si nous l’avions porté au Panthéon, restant à l’état d’église, l’y auriez-vous reçu ? » M. Baudry d’Asson et plusieurs de ses collègues de la droite, ne pouvaient s’empêcher de répondre : non !

Les cléricaux d’aujourd’hui auraient, dans ce cas, agi comme le fit en 1814 la royauté de droit divin, dont le premier soin fut de tirer des caveaux du Panthéon les corps de Voltaire et de Rousseau et de les faire jeter à la voirie.

Au sénat, MM. de Ravignan et Fresneau allaient jusqu’au bout de la doctrine catholique de l’intolérance, lorsqu’ils disaient que si le Panthéon perdait son caractère religieux, aucun grand homme chrétien, ne consentirait à être enterré la dedans .

Ainsi une nation ne pourrait assigner un même lieu de sépulture, dans un édifice n’ayant aucun caractère religieux, à tous ses grands hommes catholiques ou non catholiques, parce que, ainsi que le disait M. de Ravignan, ce serait infliger aux catholiques une sépulture qui serait un attentat à leur croyance que de les faire reposer à côté de protestants, de juifs, de théistes et d’athées. C’est l’application aux morts de cette théorie de l’Église, que la loi ne peut mettre sur le même pied l’erreur et la vérité, théorie empêchant que la paix et la tolérance puissent régner dans un pays, non seulement entre les vivants, mais encore au milieu des tombeaux.

Pour bien marquer le caractère d’humiliation du culte protestant, même dans l’intérieur des temples, Louis XIV ne négligea rien, il fit enlever de ces édifices religieux, les bancs et sièges élevés là pour les gentilshommes, juges, consuls et échevins, les fleurs de lys, armes du roi, des villes et des communautés placées sur les bancs, murailles et vitres desdits temples. Il fit défense à tous juges royaux ou des seigneurs, consuls et échevins réformés de porter dans les temples, et lorsqu’ils y allaient ou en revenaient, leurs robes rouges, chaperons et autres marques de magistrature.

Dans les villes, sièges d’un archevêché ou évêché, le temple ne pouvait être placé à moins d’une lieue de la dernière maison d’un des faubourgs. Louis XIV interdit, en outre, de prêcher et de s’assembler dans les temples, de n’importe quelle ville, pendant que les évêques ou archevêques s’y trouvaient en tournée pastorale.

Dans les villes, où il y avait citadelle ou garnison de troupes royales, il était défendu aux protestants de s’assembler, au son des cloches. Du jeudi au samedi, pendant la semaine sainte, les cloches de tous les temples devaient s’abstenir de sonner à l’exemple de celles des églises catholiques.

Plusieurs temples, entre autres celui d’Uzès, furent démolis, comme étant placés trop près des églises catholiques, dont les offices étaient troublés par le son des cloches et le chant des psaumes. Quand une procession, dans laquelle était porté le Saint-Sacrement, passait devant un temple, les protestants assemblés devaient cesser le chant des psaumes. Enfin on en vint à interdire aux ministres de parler avec irrévérence, dans leur prêche, des choses saintes et des cérémonies de l’église catholique. Un banc dut être réservé dans le temple aux catholiques pour que ceux-ci pussent, dit l’édit, réfuter au besoin les ministres, et les empêcher, par leur présence, d’avancer aucune chose contraire au respect dû à la religion catholique.

Que dirait le clergé catholique, si demain, le gouvernement républicain mettait en application une loi, par laquelle un banc devrait être réservé dans chaque église aux non-catholiques, afin que ceux-ci pussent, au besoin, réfuter les arguments du prédicateur, et, par leur présence, empêcher le prêtre de dire chose contraire au respect dû, soit aux croyances autres que celles du catholique, soit aux institutions du pays.

On avait eu soin de limiter, à l’intérieur des temples, la liberté de l’exercice du culte protestant, et c’est avec un soin jaloux qu’on avait interdit toute manifestation extérieure du culte toléré.

Il était défendu aux ministres de paraître au dehors des temples, en habit long ; on ne souffrait même pas que, dans le temple, ils portassent des soutanes et robes à manches (ce qui n’appartenait qu’aux ecclésiastiques et aux officiers de justice, disait la loi). Ils ne pouvaient faire aucun prêche, aucune exhortation, dans les rues, sur les places publiques, même sous les arbres des campagnes, sous quelque prétexte que ce fût, exécution de criminels, inondation, peste, etc. ; quand ils allaient consoler les prisonniers, les ministres ne pouvaient le faire qu’à voix basse et dans une chambre séparée ; de même, dans les hôpitaux, ils devaient faire leurs prières et exhortations aux malades réformés, à voix assez basse pour qu’ils ne pussent être entendus des autres malades.

Cette prescription était plus que difficile à observer dans les hôpitaux de l’ancien régime, où l’on entassait dans chaque lit six ou huit malades, les convalescents avec les moribonds, parfois avec les morts qu’on n’avait pas toujours le temps d’enlever. Le clergé attaché à l’Hôtel-Dieu de Paris ne laissait les ministres parler aux malades huguenots qu’en présence d’un ecclésiastique, prétendant que sans cette surveillance, les ministres parlant haut, détournaient, dans un quart d’heure, plus de malades catholiques que l’on ne pouvait en édifier en trois jours. Les protestants ne pouvaient envoyer de députations spéciales, et il leur était interdit de faire corps à part dans toutes les occasions où ils avaient à paraître en public. Ils ne pouvaient s’assembler pour faire des prières publiques, des lectures ou autres exercices de leur religion que dans leurs temples et en présence de leurs ministres. Il leur était défendu de chanter des psaumes à haute voix, dans les rues, carrefours, places publiques et même aux fenêtres de leurs maisons. Ce chant des psaumes ne leur était permis, dans leurs boutiques et chambres fermées, qu’à cette condition qu’il fût fait à voix assez basse pour ne pouvoir être entendu des voisins et des passants.

Les cérémonies de noces, de baptêmes et d’enterrements, étant considérées comme de nécessaires manifestations extérieures du culte, étaient réglementées de manière à bien marquer le caractère d’humiliation qu’on voulait imprimer au culte toléré.

Les réformés, dit un édit, allant en marche par les rues, à l’occasion des noces et des baptêmes, affectent de se trouver en nombre considérable pour se rendre à leurs temples. Pour faire cesser ce scandale, il est décrété qu’à toutes cérémonies de noces et de baptêmes, qui seront faites par des huguenots, il ne pourra y avoir plus de douze personnes, y compris les parents qui y assisteront ; il est fait défense de marcher en grand nombre par les rues, en allant à ces cérémonies.

Pour les enterrements, le nombre des personnes assistant aux convois ne peut dépasser trente personnes, y compris les plus proches parents du défunt, ces enterrements doivent se faire à six heures du matin ou à six heures du soir, du mois d’avril au mois d’octobre, à huit heures du matin ou à quatre heures du soir, du mois d’octobre à la fin de mars.

Le bailli de Caen avait condamné à l’amende les réformés Baillebache et Daniel, à raison de la malversation par eux commise : « D’avoir couvert le cercueil du corps de la fille dudit Baillebache d’un drap blanc, semé de couronnes et guirlandes de romarin et fait porter les quatre coins d’icelui par quatre filles tenantes en leurs mains chacune un rameau aussi de romarin, et ledit Daniel d’avoir aussi pareillement fait porter les coins d’un drap étant sur le corps de sa défunte femme. »

Le parlement de Rouen confirme ce jugement : Ouï, Ménard, avocat, qui a dit : « Qu’il n’appartenait point à ceux de la religion prétendue réformée de faire aucune pompe ni cérémonie dans leurs enterrements, que c’était un honneur réservé à ceux qui professent la religion du prince ; qu’il n’y pouvait avoir égalité entre les deux religions ; que la catholique, qui était la religion maîtresse et dominante, devait avoir tous les honneurs et tous les avantages ; que la prétendue réformée doit demeurer dans l’abaissement, dans le silence et dans l’obscurité, qu’il n’était pas juste que la servante se parât des mêmes ornements que sa maîtresse. »

Ouï l’avocat général, lequel a dit : « Que nous voulons que ceux de la religion prétendue réformée, paraissent en toutes choses, ce qu’ils sont, c’est-à-dire tolérés, et, pour cette raison, il leur est interdit toutes choses qui sont d’apparence extérieure ; point d’exercice public de leur religion, point de culte extérieur, rien qui paraisse ; même les édits leur ordonnent de faire leurs enterrements sur le soir, afin d’en retrancher les pompes, les cérémonies et toutes les vaines ostentations. »

Ce système d’humiliation appliqué par Louis XIV aux protestants, à l’occasion des enterrements, nous avons vu sous la république, un préfet de l’ordre moral tenter de le ressusciter contre les libres penseurs de Lyon. En 1873, M. Ducros, préfet du Rhône, sous prétexte de nécessités d’ordre public (prétexte invoqué au XVIIe siècle, pour les protestants), prit, en effet, un arrêté décidant que les enterrements civils se feraient au plus tard, à six heures du matin en été, à sept heures en hiver ; qu’ils ne pourraient être suivis par un nombre de personnes excédant le chiffre qu’il fixait, et qu’ils devraient se rendre au cimetière par la voie la plus directe, en évitant les grandes rues.

Les journaux cléricaux ne craignirent pas de prodiguer les éloges à cet arrêté, injustifiable dans une société où, en vertu de la loi, tous sont égaux, et ont droit au même traitement, quelles que soient leurs croyances religieuses ou leurs opinions philosophiques. Il était juste, disaient ces journaux bien pensants, que les morts libres penseurs fussent enterrés à l’heure où étaient enlevés les immondices de la ville, attendu que, ayant voulu mourir comme des chiens, ils devaient être enfouis comme des chiens.

L’injure n’était pas nouvelle et elle a toujours été appliquée, par les catholiques à ceux qui, protestants ou libres penseurs, n’avaient point à leur lit de mort, reçu les sacrements de l’Église catholique. Ainsi on lit dans le Journal de l’Étoile : « En 1590, mourut aux cachots de la Bastille, maître Bernard Palissy, prisonnier pour la religion, âgé de quatre-vingts ans. La tante de ce bonhomme y étant retournée le lendemain, voir comment il se portait, trouva qu’il était mort. Et, lui dit Bussy, que, si elle voulait le voir, qu’elle le trouverait avec ses chiens sur le rempart, où il l’avait, fait traîner comme un chien qu’il était. »

On lit encore dans un mémoire qui se trouve aux archives générales : « En 1699, le sieur Bertin de Montabar, gentilhomme de la religion prétendue réformée, des plus obstinés, lequel était âgé de quatre-vingts ans, mourut, sans avoir voulu souffrir que son curé ni aucun prêtre le vissent… Son obstination ayant fait refuser à ses enfants la permission de le faire enterrer en terre sainte, on l’a enterré dans son jardin auprès du lieu où avait été enterré son chien. »

C’est par suite de la même préoccupation d’imposer un caractère de flétrissure à l’enterrement des non catholiques qu’à Paris, jusqu’à la Révolution, les protestants et les artistes de la Comédie-Française, excommuniés ordinaires du roi, durent être enterrés sans pompe, la nuit, et inhumés dans un chantier.

S’inspirant de la doctrine qui avait dicté jadis l’arrêt rendu dans l’affaire Baillebache : la religion catholique a le privilège de tous les honneurs et de tous les avantages, les ministres de la guerre, sous l’ordre moral, MM. Berthauld et du Barrai, firent pour la question des honneurs militaires, ce que le préfet Ducros avait fait pour les inhumations des libres penseurs à Lyon.

Arguant de je ne sais quelle équivoque de texte, ces ministres décidèrent que le piquet d’honneur accordé par la loi aux religionnaires morts, devait être refusé à ceux qui étaient conduits directement de leur domicile au cimetière, sans passer par l’église, le temple ou la synagogue. C’est en vertu de cette décision que le député Brousse et le compositeur Félicien David furent privés des honneurs militaires.

Ces tentatives faites hier pour noter d’infamie les obsèques des libres penseurs, ou tout au moins pour leur imprimer un caractère d’humiliation, suffisent pour montrer ce que serait devenu le principe de l’égalité de tous les citoyens et de toutes les opinions devant la loi, si l’on eût réussi à restaurer, avec le roi très chrétien Henri V, le gouvernement des curés.

Un jour, le prince de Condé, ayant eu une vive discussion à propos de religion avec la princesse de la Trémouille, lui avait conseillé, pour se défaire de ses entêtements huguenots, de rester six mois sans aller au prêche et sans voir le ministre.

L’affaire fit grand bruit et la maxime du prince de Condé eut beaucoup de succès auprès des évêques et des intendants, qui, convaincus que la religion n’est qu’une affaire d’habitude, rivalisèrent d’ardeur pour mettre les huguenots dans l’impossibilité d’aller aux prêches et de voir des ministres, par la suppression d’un grand nombre de temples et l’interdiction de nombreux ministres.

On supprima tous les temples, dans les lieux où l’on ne put prouver par titres que le culte protestant avait été célébré avant l’édit de Nantes, et cette preuve écrite était d’autant plus difficile à faire que la plupart des titres avaient été détruits ou perdus au cours des guerres de religion.

Les protestants se trouvant souvent disséminés par groupes peu nombreux au milieu des populations catholiques, les annexes, ou lieux d’exercices secondaires, n’avaient pas de ministres attitrés, mais un pasteur venait, à des jours déterminés, prêcher dans chacune de ces annexes. Un édit défendit aux ministres de prêcher dans plus d’un lieu. Les églises s’étant cotisées, les plus riches venant au secours des plus pauvres, chaque annexe put avoir son pasteur.

Un nouvel édit vint interdire à chaque église de contribuer aux dépenses des autres, attendu que, au moyen des cotisations, les ministres devenaient beaucoup plus fréquents qu’il ne convenait à une religion qui n’était que tolérée. Pour empêcher que ces cotisations ne pussent continuer à se faire secrètement, il fut interdit aux consistoires de se réunir, hors la présence d’un juge royal, et de voter, même pour aumônes, aucune imposition nouvelle.

Pour qu’un temple fût fermé et ses ministres interdits, il suffisait qu’un huguenot ayant abjuré ou que l’on prétendait avoir abjuré eût assisté au prêche. Il eût fallu que les ministres se tinssent à la porte des temples pour demander à quiconque voulait entrer, avez-vous abjuré ? Tout nouveau converti qui, pour n’importe quel motif, entrait dans un temple devait être poursuivi comme relaps ainsi qu’en témoigne la lettre suivante, écrite le 25 janvier 1682, par le chancelier Letellier, au procureur général du parlement de Paris : « Je me suis souvenu que je ne vous avais pas mandé les intentions du roi sur le mémoire qu’a envoyé ici le sieur de Marillac, concernant les nouveaux convertis qu’on a surpris retournant dans les temples : « Pour y satisfaire, je dois vous faire savoir que Sa Majesté désire qu’on ne fasse pas de distinction de ceux qui y sont retournés, disant qu’ils veulent vivre dans la religion protestante d’avec ceux qui prétendent n’y avoir été que par curiosité ou pour parler à leurs amis, et sans dessein de changer, et qu’il faut que les uns et les autres soient châtiés suivant ce qui est porté à la déclaration qui pèse les peines des relaps. »

Arnould, intendant de la Rochelle, pour arriver à faire fermer plusieurs temples, se servait d’une nouvelle convertie qu’il envoyait assister aux prêches. Ce sont les services rendus à la cause de la religion par cette femme que Bégon, intendant de Rochefort, invoquait pour demander au roi d’accorder un secours à cette personne si méritante : M. Arnould, écrivait-il, « s’est utilement servi de Marie Bonnaud, pendant les années 1684 et 1685, pour trouver des preuves de faits suffisants pour parvenir à la démolition des temples, et c’est par son moyen, que celui de la Rochelle et plusieurs autres ont été détruits au mois d’octobre 1685. »

Avec le désordre régnant dans l’œuvre des conversions, on comprend combien était grand le nombre des relaps, vrais ou prétendus, dont la présence au prêche suffisait pour provoquer la démolition des temples et l’interdiction des ministres.

Il n’est donc pas surprenant que, sous prétexte d’infractions aux édits, on fût arrivé à réduire dans une proportion considérable les lieux d’exercice et que le nombre des temples, qui avait été de 760 en 1598, fût descendu en 1684 à 50 ou 60.

À ce moment l’évêque de Lodève disait : « La condamnation des ministres, la démolition des temples est le plus sûr moyen d’humilier la religion prétendue réformée et de la finir en France. Il n’y a qu’à laisser faire le roi qui est conduit par l’esprit de Dieu, et avant peu de temps, nous aurons la consolation de ne plus voir qu’un autel dans l’État. »

Par suite de ces fermetures multipliées de temples, les huguenots venaient de fort loin en troupes aux temples encore debout, menant avec eux leurs enfants qu’ils voulaient faire baptiser et qui parfois mouraient gelés en route sur le sein des mères.

Un édit défend aux temples survivants d’avoir un plus grand nombre de ministres que par le passé et pour éviter l’affluence du peuple dans les lieux d’exercice et le scandale causé par le passage des huguenots se rendant à des temples éloignés, ordonne qu’à l’avenir « les protestants ne pourront plus aller aux temples qui se trouveraient dans les baillages ou sénéchaussées où ils n’ont pas leur principal domicile, et n’ont pas fait leur demeure ordinaire pendant un an entier sans discontinuer ». Là, où ils auront été soufferts, ajoute l’édit, l’exercice sera interdit et le temple sera démoli.

Cette clause peut donner une idée de la multiplicité des moyens employés pour amener la fermeture des temples ; quant aux ministres, on les interdisait sous les plus vains prétextes ; ainsi Brevet, ministre à Dampierre, fut interdit pour avoir fait la prière à un malade qui, au dire du curé du lieu, avait l’intention de se convertir. Cette lettre de Louvois à Baville suffit pour montrer avec quelle impartialité le gouvernement devait décider du bien ou mal fondé des contraventions aux édits, invoquées pour obtenir la fermeture ou la démolition d’un temple : « Sa Majesté trouve bon que vous travailliez incessamment à faire le procès aux temples de… et elle apprendra avec beaucoup de plaisir qu’il se soit trouvé de quoi les condamner. »

Les intendants s’ingéniaient à trouver les moyens de faire plaisir au roi, et, dans ses mémoires, Foucault se fait gloire d’avoir trouvé un expédient de la plus insigne mauvaise foi pour arriver à supprimer, dans tout le Béarn, l’exercice du culte protestant.

« Je fis voir au roi, dit-il, qu’il y avait un trop grand nombre de temples et qu’ils étaient rapprochés les uns des autres, qu’il suffirait d’en laisser cinq. J’affectais de ne laisser subsister justement, au nombre des cinq, que des temples dans lesquels les ministres étaient tombés dans des contraventions qui emportaient la peine de la démolition, dont la connaissance était renvoyée au Parlement, en sorte que, par ce moyen, il ne devait plus rester de temples en Béarn. » En attendant la décision du Parlement, Foucault proposait d’obliger les ministres des autres temples supprimés comme superflus, à s’éloigner de dix lieues de leur résidence, ce qui les chasserait de la province, attendu, disait-il, que le Béarn n’a que onze lieues de long sur sept à huit de large.

Les évêques poursuivaient le même but avec autant d’ardeur que les intendants, et n’avaient pas plus de scrupules que ceux-ci sur la moralité des moyens à employer pour arriver à ce but.

Voici, par exemple, comment l’évêque de Valence parvint à supprimer dans son diocèse l’exercice du culte protestant : « J’attaquai, dit-il, les temples qui avaient contrevenu, et j’obtins le rasement de plusieurs. Je fus si heureux que, dans moins de deux ans, de quatre-vingts temples que j’avais dans les diocèses de Valence et de Dié, il n’en restait qu’environ dix ou douze. Quand je fus à l’assemblée (en 1683) je n’en avais plus que deux. Le Tellier m’en donna un, qu’il fit juger dans le conseil, et je suppliai si puissamment Sa Majesté de m’accorder l’autre, que je l’obtins de sa piété et de sa bonté ; de sorte que, avant la révocation de l’édit de Nantes, je me glorifiais fort d’avoir détruit l’exercice des temples dans mon diocèse. »

C’est dans l’intérêt de la justice que cet évêque réclamait la destruction du dernier temple existant dans son diocèse « parce que, disait-il au roi, ce temple se trouve si fatalement situé, qu’il fait, lui seul, rétablir et subsister tous les temples qui ont été démolis par vos ordres et vous rendez ainsi l’exercice à tous les lieux qui en ont été privés, d’une manière qui leur est aussi commode. »

Ces gracieusetés de ministre et de roi à évêque avaient pour résultat de réduire au désespoir des milliers de protestants arbitrairement privés de tout exercice de leur culte.

Dès 1683, plus de cent mille protestants, par suite des fermetures de temples et des interdictions de ministres, se trouvaient, sinon légalement, du moins en fait, privés de l’exercice public de leur culte.

À l’instigation de Brousson, avocat toulousain qui plaidait avec passion la cause des temples menacés, seize pasteurs du Languedoc, du Vivarais, du Dauphiné et des Cévennes se réunissent à Toulouse le 3 mai 1683. La réunion décide que, à un jour donné, l’exercice du culte sera repris partout où il a été aboli, soit sur les ruines des temples démolis, soit à côté des temples qu’on a fermés. C’était l’organisation de la résistance passive que les seize directeurs justifiaient ainsi dans une adresse à Louis XIV : « Les déclarations que les ennemis des suppliants ont obtenues avec tant de surprise, leur défendent de s’assembler pour rendre à Dieu le service qu’ils lui doivent. Dans l’impuissance où les suppliants se trouvent, Sire, d’accorder la volonté de Dieu avec ce que l’on exige d’eux, ils se voient contraints par leur conscience de s’exposer à toutes sortes de maux pour continuer de donner gloire à la souveraine majesté de Dieu qui veut être servie selon sa parole. »

Brousson n’avait pas dissimulé à ses co-religionnaires que, par suite de cette résolution, il y aurait des martyrs, « mais, ajoutait-il, dix ou vingt personnes n’auront pas plutôt souffert la mort et scellé de leur propre sang la vérité de la religion qu’elles professent que le roi ne jugera pas à propos de pousser la chose plus loin, pour ne pas faire une grande brèche à son royaume. »

Malheureusement la grande majorité des protestants avait accepté la doctrine de l’obéissance absolue aux ordres du roi quels qu’ils fussent, et n’était pas en disposition de suivre ces mâles conseils, en sorte que les assemblées furent peu nombreuses, et que ceux qui avaient désobéi aux édits se virent hautement désavoués par leurs co-religionnaires.

Ruvigny, député général des protestants, lui-même, qualifie de criminelle la conduite de ceux qui avaient repris l’exercice de leur culte et avaient ainsi commis une offense envers Dieu lui-même, en violant le respect dû au roi et à ses édits. Il traduisait du reste les sentiments des trop nombreux huguenots qui abjurèrent plus tard et crurent justifier leur abjuration en la motivant ainsi : pour obéir à la volonté du roi.

Les catholiques, s’étant inquiétés des rassemblements des protestants, avaient dispersé plusieurs des assemblées tenues par ceux-ci, dès lors on n’alla plus qu’armé aux assemblées de prières et la lutte entre les catholiques et les protestants prit bientôt en conséquence le caractère d’une guerre civile.

Louvois met des troupes en marche pour châtier les rebelles (les protestants), accusés d’avoir pris l’offensive ; mais l’intendant d’Aguesseau parcourt le pays, obtient des protestants qu’ils se dispersent, posent les armes, et il demande au gouvernement une amnistie.

L’amnistie est accordée, mais elle n’était qu’un leurre, car elle ne s’appliquait, ni aux ministres, ni aux notabilités protestantes compromises, ni à ceux qui avaient été arrêtés et se trouvaient dans les prisons. Dans le Vivarais et les Cévennes, les protestants, voyant que malgré l’amnistie leurs co-religionnaires étaient roués, pendus ou envoyés aux galères reprennent les armes.

Louvois ordonne aux troupes qu’il envoie, de causer une telle désolation dans le pays que les autres religionnaires fussent contenus par l’exemple qui s’y ferait. Il avait chargé de la besogne de Noailles qui, de son aveu, mettait trop de bois au feu, et Saint-Ruth qui, au dire de d’Aguesseau, fit une véritable chasse à la proie humaine. Après les massacres en rase campagne, les supplices se multipliaient ; le pasteur Brumer fut massacré, son collègue Homel, directeur pour le Vivarais, livré par un traître, fut roué vif ; Brousson et les autres directeurs avaient dû fuir en Suisse ; plusieurs furent exécutés par contumace, et plus de cent trente pasteurs furent impliqués dans les poursuites survenues à la suite de cette affaire.

Pour donner une idée de la barbarie de la répression, il suffira de citer les faits suivants : « Un jour, dit Cosuac, Saint-Ruth, après avoir dispersé une bande de religionnaires, en fit brûler plus de deux cents qui s’étaient réfugiés dans une grange. Les malheureux repoussant avec des perches les matières combustibles que les soldats jetaient sur le toit, les dragons embusqués dans les arbres tiraient sur eux.

« La grange brûla et tous furent étouffés, sauf les quinze plus vigoureux qui, étant sortis, furent fusillés ou pendus.

« À l’approche des soldats, un autre jour, des vieillards, des femmes et des enfants se sauvent et se réfugient dans des précipices, derrière Mastenac, Saint-Ruth en trouve le chemin.

« Il y eut plusieurs filles et femmes violées, dit Élie Benoît ; une entre autres, ayant donné beaucoup de peine à six dragons par sa résistance et se jetant sur eux comme une lionne pour se venger, fut tuée par ces brutaux à coups de sabre… Catherine Raventel, ayant été trouvée dans les douleurs de l’enfantement, les dragons la tuèrent… On tua tout, hommes et femmes, tous périrent jusqu’au dernier. »

L’évêque de Valence avait demandé qu’on lui accordât du moins la grâce des prisonniers qu’il parviendrait à convertir. « J’accompagnais l’intendant, dit-il, dans les endroits où il y avait des prisonniers, et, dans le temps qu’il les condamnait à mort et qu’on instruisait leur procès, je recevais leur abjuration, cela fit sauver plus de deux mille hommes. »

Louvois dut être satisfait, et la désolation du pays en 1683-1684, fut le digne prélude de la sauvage dévastation accomplie quelques années plus tard, pour faire régner la paix des tombeaux sur les ruines ensanglantées des Cévennes, dépeuplées et converties en désert, sur une étendue de quarante lieues de long sur vingt de large.

L’histoire de l’insurrection des Cévennes ne rentre pas dans le cadre de ce travail, qui a pour but de faire l’histoire de la résistance passive de l’immense majorité des huguenots, résistance finissant par lasser les persécuteurs. Mais si la constance héroïque des martyrs huguenots, au fond des cachots, sur les bancs des galères, devant la potence, la roue et le bûcher a gagné, devant l’opinion publique, la cause de la liberté de conscience, on ne peut contester que le souvenir toujours vivant de la lutte héroïque de quelques milliers de montagnards contre les armées de Louis XIV n’ait, pour une large part, contribué à assurer le succès définitif de cette grande cause. C’est pourquoi nous disons ici quelques mots de cette guerre du désespoir, provoquée par la longue et cruelle persécution qui suivit la désolation de 1683.

Deux fois dans les provinces du midi, en 1688 et en 1700, tout un peuple tombe malade, perd l’esprit à force d’être persécuté et torturé et c’est par milliers que hommes, femmes, filles et enfants se mettent à prophétiser. Cette maladie extatique, éteinte ailleurs, se perpétue dans les Cévennes, et depuis Esprit Séguier qui, en 1702, donne le signal de l’insurrection, jusqu’à Rolland et Cavalier même, les chefs camisards furent presque tous prophètes. S’il fallait livrer un combat ou tenter une expédition, on ne le faisait qu’après avoir consulté les inspirés, interprètes de l’Esprit Saint Bombonnoux, un des derniers chefs camisards, prévient en vain ses gens du danger qu’ils courent : « comme je n’étais pas prophète, dit-il, on ne fit aucune attention à mes pressentiments. »

La principale cause qui amena les Cévenols à se révolter, dit Court, ce fut la conduite cruelle et barbare que les ecclésiastiques, évêques, grands vicaires, curés, les moines eux-mêmes tenaient à l’égard des protestants.

Le plus cruel des tyrans locaux qui s’ingéniaient à tourmenter les huguenots, c’était l’archiprêtre du Chayla qui, bourreau, et satyre tout à la fois, torturait les hommes, à la vue de leurs femmes et de leurs filles, pour les obliger à se livrer à lui. Contre ses prisonniers enfermés dans les caves de son château de Pont-de-Montvert, il épuisait tous les raffinements de cette science de torture dans laquelle, dit Court de Gebelin, les prêtres n’ont point connu de rivaux et ne furent jamais dépassés. Il leur arrachait un à un les poils de la barbe, des sourcils, des cils ; il leur liait les deux mains avec des cordes de coton imbibées d’huile ou de graisse, qu’il faisait brûler lentement jusqu’à ce que les chairs fussent rôties jusqu’aux os. Il leur mettait des charbons ardents dans les mains qu’il fermait et comprimait violemment avec les siennes. Il plaçait ces malheureux dans les ceps (nom que l’on donnait à deux pièces de bois entre lesquelles il engageait leurs pieds), de telle sorte qu’ils ne pouvaient se tenir ni assis, ni debout sans souffrir les plus cruels tourments.

Dans la nuit du 24 au 25 juillet 1702, trois prophètes, Esprit Séguier, Conduc et Mazel se donnent rendez-vous dans la montagne, une cinquantaine de huguenots armés de fusils, de sabres, de faux ou de bâtons viennent se joindre à eux. « Dieu le veut ! s’écrie le prophète Séguier, il nous commande de délivrer nos frères et nos sœurs, et d’exterminer cet archiprêtre de Satan. »

La bande des conjurés entre dans le bourg de Pont-de-Montvert en chantant le psaume de combat, ils prennent d’assaut la demeure de du Chayla, enfoncent la porte avec une poutre dont ils font un bélier, tuent ou dispersent les gardes de du Chayla, et mettent le feu au château.

Ils se précipitent vers les cachots et trouvent les malheureux prisonniers à moitié morts, les pieds endoloris pris dans les ceps, n’ayant même plus la force de prendre la liberté qu’ils viennent leur apporter. Leur fureur redouble, ils découvrent du Chayla, qui, en voulant s’enfuir par une fenêtre, est tombé et s’est brisé la jambe. Chacun défile à son tour devant l’archiprêtre et le frappe en disant : « Voici pour mon frère envoyé aux galères, pour ma mère, pour ma sœur enfermées au couvent, pour mon père que tu as fait périr sur la roue. » Quand on releva le cadavre de du Chayla, il avait cinquante-deux blessures faites par chacun de ceux qui avaient une victime à venger. C’est à la suite de cette sanglante exécution que commença la terrible guerre des Cévennes, guerre du désespoir, entre quelques milliers de montagnards guidés par leurs prophètes, et les armées de Louis XIV.

Pour se rendre compte de ce qu’étaient ces révoltés, se croyant inspirés de l’Esprit-Saint ne craignant ni la mort sur le champ de bataille, ni les souffrances du supplice sur la roue ou le bûcher, il suffit de se rappeler la fin du prophète Esprit Séguier :

« Comment t’attends-tu à être traité ? lui demande le capitaine Poul qui l’a fait prisonnier.

– Comme je t’aurais traité moi-même, si je t’avais pris, répond le prisonnier enchaîné.

– Pourquoi t’appelle-t-on Esprit Séguier ? lui demandent les juges.

– Parce que l’esprit de Dieu est avec moi.

– Ton domicile ?

– Au désert, et bientôt au ciel.

– Demande pardon au roi de ta révolte !

– Mes compagnons et moi n’avons d’autre roi que l’Éternel.

– N’éprouves-tu pas de remords de tes crimes ?

– Mon âme est un jardin plein d’ombrage et de fontaines, et je n’ai point commis de crimes. »

Condamné à avoir le poing coupé et à être brûlé vif, il meurt avec le courage d’un martyr, et, monté sur le bûcher, il revendiquait encore l’honneur d’avoir porté le premier coup à l’archiprêtre du Chayla.

Pour venir à bout de tels hommes, il fallut quatre maréchaux de France, de véritables armées ; et de nouveaux croisés, les cadets de la croix, auxquels une bulle du pape Clément XI promettait les indulgences accordées autrefois aux massacreurs des Albigeois. Voici quelques exploits de ces saints croisés : « Dans le seul lieu de Brenoux, dit Court, ils massacrent cinquante-deux personnes. Il y avait parmi elles plusieurs femmes enceintes ; ils les éventrent et portent en procession, à la pointe de leurs baïonnettes, leurs enfants arrachés de leurs entrailles fumantes… Entre Bargenc et Bagnols, les cadets de la croix s’emparent de trois jeunes filles, leur font subir le dernier outrage, leur emplissent le corps de poudre, les bourrent comme une pièce d’artillerie, y mettent le feu et les font éclater. »

L’armée régulière, de son côté, traitait les Cévenols comme des loups enragés ; après un combat, le brigadier Poul envoyait à M. de Broglie deux corbeilles de têtes pour être exposées sur les murs d’une forteresse. Un autre jour, ses soldats victorieux reviennent avec des chapelets d’oreilles de Cévenols. Le maréchal de camp Julien faisait passer au fil de l’épée des villages entiers, et c’est lui qui avait trouvé ce barbare moyen de ne jamais être gêné par le trop grand nombre des prisonniers qu’il avait faits : « Comme dans nos marches d’exil, à la moindre alarme, nous aurions été embarrassés de nos prisonniers, je pris la peine de leur casser la tête à mesure qu’on me les conduisait, le roi épargne ainsi les frais de justice et d’exécution. »

Lalande, ayant surpris une trentaine de camisards blessés dans la caverne où on les avait cachés, les fait tous tuer par ses dragons. C’était l’habitude des soldats d’en agir ainsi. Bonbonnoux conte, qu’ayant été surpris avec Cavalier, sa troupe avait été mise en fuite prés d’une caverne, où nous avions, dit-il, une partie de nos blessés. « Nous délogeâmes, poursuit-il ; nos blessés qui ne pouvaient point nous suivre, demeurèrent dans la caverne et furent bientôt découvert pardes médecins qui pansèrent leurs plaies d’étrange manière, ils les firent tous périr. »

Faut-il s’étonner de ce que les camisards, appliquant la théorie biblique : œil pour œil, dent pour dent, rendaient meurtre pour meurtre, incendie pour incendie, si bien que l’évêque de Nîmes, Fléchier, écrivait : « J’ai vu de mes fenêtres brûler nos maisons de campagne impunément, il ne se passe pas de jour que je n’apprenne à mon réveil quelque malheur arrivé la nuit. Plus de quatre mille catholiques ont été égorgés à la campagne, quatre-vingts prêtres massacrés, près de deux cents églises brûlées. »

Montrevel fait réduire en cendres quatre cent soixante-six villages, les maisons isolées, les granges, les métairies, on détruit les fours ; dans les huit jours, tous les habitants de la campagne ; vingt mille personnes environ, doivent être rendus dans les villes murées avec leurs bestiaux et tout ce qu’ils possèdent, et il leur est interdit, sous peine de mort, de sortir des lieux où ils sont internés. Pour que ces internés ne puissent venir en aide aux camisards, on les rationnait si parcimonieusement que parfois ils n’avaient plus de quoi vivre. Les internés de Saint-André, mourant de faim, se décident un jour à sortir dans la campagne et rapportent quelques aliments. Pendant la nuit un détachement de troupes arrive pour les châtier. On arrache les malheureux de leurs lits, on les entasse dans l’église d’où on les fait sortir un par un pour les massacrer. L’exécution finie, on jeta tout, morts et mourants, hommes, femmes et enfants, dans la rivière, laissant aux chiens affamés et aux fauves le soin de faire disparaître les cadavres.

Les camisards, refoulés dans leurs montagnes, avaient bien de la peine à vivre avec le blé que la charité des paysans leur fournissait et qu’ils cachaient dans des cavernes. « Notre état, dit Bonbonnoux, devenait tous les jours plus triste et plus désolant. L’ennemi avait renfermé toutes les denrées dans les villes ou dans les bourgs murés, renversé les fours de campagne, mis les moulins hors d’état de moudre, obligé le paysan qui travaillait dehors de prendre le pain par poids et mesure, crainte qu’il ne nous en fournît quelque peu. Ainsi, nous avions toutes les peines imaginables pour trouver seulement ce qui était le plus pressant et le plus nécessaire pour subsister. Nous faisions fabriquer de ces fers qui sont entre les deux meules du moulin et que l’ennemi avait enlevés, nous faisions rebâtir les fours qu’on avait démolis, et nous les démolissions de nouveau pour n’être pas découverts. »

Ne pouvant venir à bout, par la force des armes, de ces terribles Cévenols aussi insoucieux de la mort sur les champs de bataille que sur le bûcher ou sur la roue, il avait fallu se résoudre à faire le désert autour d’eux, afin qu’ils fussent réduits à mourir de faim au milieu des montagnes sauvages et désolées où ils avaient été refoulés.

Quant aux chefs ou prophètes, c’était toujours par la trahison que l’on finissait par avoir raison d’eux. Bâville écrit, en 1700, à l’occasion de la prise du prophète Daniel Raoul et de trois prédicants que lui avait livrés un faux frère, gagné à prix d’argent : « On ne peut jamais prendre ces sortes de gens-là autrement, et toutes les forces du monde ne servent de rien, parce qu’ils ont des retraites assurées. Il faut, pour de l’argent, trouver quelqu’un de ceux qui les suivent, qui les découvre et les livre. » Ce n’est point par la force des armes que le maréchal de Villars vint à bout de l’insurrection cévenole ; par de vaines promesses, n’ayant pour garantie que la parole du roi – garantie dont on a vu plus haut le peu de valeur, il parvint à priver les révoltés de leur plus brillant capitaine, Cavalier. – Roland, ce grand organisateur de l’insurrection, ne s’étant pas laissé abuser par de trompeuses négociations, parce qu’il exigeait, non de vaines promesses, mais des actes, le maréchal de Villars, se fit livrer par un traître le chef qui était l’âme de la révolte, mais il ne l’eut pas vivant, Roland se fit tuer.

Voici le portrait que Peyrat, dans son Histoire des Pasteurs du désert, fait de Cavalier et de Roland, les deux grandes figures légendaires de l’insurrection des Cévennes :

Roland Laporte, général des enfants de Dieu, pâtre cévenol, unissait à l’indomptable ténacité de Coligny l’habile et sombre enthousiasme de Cromwell. S’emparant de cet orageux élément de l’extase, il en fit le fondement et la règle d’une insurrection qu’il organisa, nourrit, vêtit, abrita, entretint deux ans au désert, malgré la fureur des hommes et des saisons ; lutta avec trois mille combattants contre des populations hostiles, soixante mille ennemis armés, les maréchaux de Louis XIV, et ne fut enfin abattu que par la défection, la trahison et la mort. Quel homme plus obscur sut, avec de plus faibles moyens, tenter avec plus d’énergie un effort gigantesque ? Car, l’insurrection, créée par lui, morte avec lui, c’était lui-même. Il en était l’intelligence, l’âme. Mais, s’il en fut la tête, Cavalier, il faut le dire, en fut le bras et la plus vaillante épée.

Roland n’avait point cet élan, cette fougue aventureuse, inspirée, cette bravoure téméraire et chevaleresque qui, jointe aux charmes de l’adolescence, font de Cavalier la plus gracieuse et la plus héroïque figure du désert… Roland, fait observer Peyrat, périt la veille de la bataille d’Hoschstet, et l’année qui précéda les grands désastres de Louis XIV ; s’il eut encore vécu qu’eût-il fait alors ?

Ce chef formidable, grandissant de la ruine du monarque, lui eût sans doute imposé le rétablissement de l’édit de Nantes, il eût rouvert les portes de la France à cinq cent mille exilés, et, les réunissant sur la frontière, il leur eût dit : « maintenant défendons la patrie, notre mère repentante et vénérée, et repoussons ses ennemis ! »

Le spectacle de cette lutte de quelques milliers de montagnards contre les armées de Louis XIV, commandées par ses meilleurs officiers, le fait inouï d’un maréchal de France traitant d’égal à égal, au nom du roi-soleil, avec Cavalier, un ancien pâtre, avaient stupéfié l’Europe et rehaussé le courage des huguenots qui s’étaient laissé arracher une conversion.

Les internements de populations entières, les transportations en Amérique, les tueries militaires, le supplice de douze mille Cévenols envoyés par Bâville aux galères, au gibet, à la roue, aux bûchers, l’incendie de cinq cents villages, la réduction en désert de quarante à cinquante lieues de pays, désert dans lequel avaient péri, cent mille personnes : tels avaient été les terribles moyens employés pour arriver à faire régner dans les Cévennes la paix des tombeaux. Le souvenir de cette insurrection des Cévennes laissa au moins aux convertisseurs la crainte salutaire et persistante, de voir les huguenots des autres provinces imiter l’exemple des rebelles. Non seulement sous Louis XIV, mais pendant la régence, et sous Louis XV, on voit souvent, en effet, les intendants conseiller de modérer la persécution, en rappelant l’insurrection des Cévennes, pour faire comprendre au Gouvernement qu’il pourrait être dangereux de pousser les huguenots à bout.

Pour en revenir à l’histoire de la campagne poursuivie pour finir le calvinisme, par la suppression des temples et l’interdiction des ministres, nous dirons qu’elle continua plus ardente que jamais par toute la France, après l’exécution militaire du Vivarrais et du Dauphiné. Puis après la première dragonnade du Poitou en 1681-1682, vinrent la grande dragonnade de 1685, commencée par l’armée réunie sur les frontières de l’Espagne, et enfin l’édit de révocation, interdisant l’exercice du culte protestant, supprimant tous les temples et bannissant tous les ministres hors du royaume.

Les opiniâtres que n’avait pu convaincre l’Apostolat du sabre étaient renfermés dans les prisons, dans les châteaux forts, dans les hôpitaux ; dans les couvents où ils avaient à subir de nouvelles persécutions, ou bien, ils erraient de lieu en lieu, cherchant à sortir du royaume. S’ils réussissaient, c’étaient les douleurs de l’exil et les dures épreuves de la misère à l’étranger ; s’ils échouaient, c’était, pour les femmes, la détention perpétuelle dans les prisons ou les couvents ; pour les hommes, le cruel supplice des galères ; pour tous, en outre, la confiscation des biens.

Quand à la grande masse des protestants, des nouveaux convertis, ainsi qu’on les appelait depuis qu’on leur avait arraché une abjuration, ils semblaient, sinon résignés à leur sort, du moins incapables de retrouver l’énergie nécessaire pour revenir sur le fait accompli.

Le clergé et le roi crurent un instant avoir cause gagnée et firent frapper de menteuses médailles en l’honneur de l’extinction de l’hérésie. Mais les huguenots avaient l’horreur du culte catholique qu’on voulait les contraindre à pratiquer, ils restaient attachés à la foi qu’on les avait obligés de renier des lèvres, et ils reprenaient peu à peu en secret l’exercice du culte proscrit.

Dans les provinces, comme la Bretagne ou la Normandie, où les huguenots étaient dispersés par petits groupes, au milieu de nombreuses populations catholiques, c’étaient des gentilshommes, des négociants, des artisans, des femmes, qui s’attachaient par des lectures, par des conférences ou entretiens, à maintenir leurs co-religionnaires dans leurs anciennes croyances.

Dans le Poitou ; dans la Saintonge et dans les provinces du Midi, où les huguenots étaient très nombreux et plus ardents, ils ne se résignèrent pas à se borner au culte domestique et se mirent à faire des assemblées qui devinrent peu à peu de plus en plus nombreuses. Ces assemblées se tenaient, parfois dans une maison isolée, mais le plus souvent dans les bois ou les cavernes, on y faisait des prières, on y chantait des psaumes et, à défaut de ministre, un homme, un adolescent, une femme, faisait une lecture ou haranguait les fidèles. Quand le roi et le clergé apprirent la reprise du culte qu’ils croyaient avoir anéanti, ils furent pris d’une colère frénétique ; ils firent publier un édit qui, ainsi que le dit de Félice, aurait fait honte à des cannibales. Peine de mort contre les ministres rentrés en France, contre les prédicants, contre tous ceux qui seraient surpris dans une assemblée ; les galères perpétuelles pour quiconque prêterait secours ou donnerait asile à un de ces ministres dont la tête était mise à prix.

Le marquis de la Trousse donnait ces sauvages instructions aux officiers chargés de surprendre et de dissiper les assemblées de huguenots : « Lorsque l’on aura tant fait que de parvenir au lieu de l’assemblée, il ne sera pas mal à propos d’en écharper une partie. »

Les ordres de Louvois ne sont pas moins barbares :

« S’il arrive encore que l’on puisse tomber sur de pareilles assemblées, l’on ordonne aux dragons de tuer la plus grande partie des religionnaires qu’ils pourront joindre sans épargner les femmes.

« Sa Majesté désire que vous donniez ordre aux troupes… de ne faire que peu de prisonniers, mais d’en mettre beaucoup sur le carreau, n’épargnant pas plus les femmes que les hommes.

« Il convient que… l’on fasse main basse sur eux, sans distinction d’âge ni de sexe, et que si, après en avoir tué un grand nombre on prend quelques prisonniers, on fasse faire diligemment leur procès. »

Le duc de Broglie, après avoir donné à l’armée du Languedoc, les mêmes instructions de charger les assemblées qui se tiendraient à la campagne, et de faire main basse dessus sans aucune distinction de sexe, ajoute, en ce qui concerne les assemblées particulières qui se tiennent dans les maisons : « Si l’assemblée passe le nombre, de quinze personnes, l’officier qui commande pourra la charger et en user avec la même sévérité que si elle se faisait en campagne. »

« Jamais instructions ne furent mieux observées, dit Élie Benoît ; on ne manquait pas de se rendre aux lieux où on était averti qu’il se faisait des assemblées et, quand on pouvait les surprendre, on ne manquait pas de tirer dessus, quoique le plus souvent on les trouvât à genoux, attendant le coup sans fuir, et n’ayant ni le moyen, ni l’intention de se défendre. Il y en avait toujours quelque nombre de tués et encore, un plus grand nombre de blessés, dont plusieurs allaient mourir dans quelque haie ou quelque caverne. Les soldats battaient, volaient, violaient impunément dans ces occasions… On a vu des femmes assommées de coups sur la tête, d’autres à qui on avait coupé le visage à coups de sabre, d’autres à qui l’on avait coupé les doigts pour leur arracher les bagues qu’elles y portaient, d’autres à qui on avait fait sortir les entrailles… »

Dans le Velai, en 1689, les soldats surprennent une assemblée qu’ils massacrent. Un vieux prophète, Marliaux, avait à ce prêche nocturne deux fils et trois filles dont l’aînée, enceinte de huit mois, tenait par la main un petit enfant qui avait aussi voulu aller prier Dieu au désert… vers minuit on lui rapporta six cadavres, dont deux palpitaient encore, une fille qui expira bientôt après et un petit garçon qui guérit miraculeusement. Le prophète passa la nuit en prières, au milieu de sa famille, au cercueil qu’il déposa furtivement le lendemain dans une même tombe.

« Les petits enfants, dit Court, ne trouvaient pas grâce devant les soldats ; ces monstres les perçaient de leur baïonnette et, les agitant en l’air, s’écriaient dans un transport de jovialité féroce : Eh ! Vois-tu se tordre ces grenouillettes. »

En 1703, à la porte de Nîmes, cent cinquante protestants se réunissent dans un moulin pour célébrer leur culte le jour des Rameaux. L’assemblée se composait en majeure partie de vieillards, de femmes et d’enfants ; le chant des psaumes trahit sa présence dans le moulin. – Le maréchal de Montrevel, averti à deux heures de l’après-midi, se lève de table et accourt avec des troupes qui investissent le moulin. Les soldats s’acquittant trop mollement au gré de Montrevel de leur œuvre de sang, il fait fermer les portes du bâtiment et y fait mettre le feu.

« Quels cris confus, dit Court, quel spectacle ! quels affreux spectres s’offrent à la vue ! Des gens couverts de blessures, noircis de fumée et à demi brûlés par les flammes, qui tâchent d’échapper à la fournaise qui les consume ; mais ils n’ont pas plutôt paru qu’un dragon impitoyable, qui fait dans cette occasion, par ordre et sous les yeux d’un maréchal de France, l’office de bourreau, les repousse avec le fer dont il est armé. » Tous périrent. Une jeune fille de seize ans qui avait été sauvée par un laquais de Montrevel, fut pendue par ordre du maréchal, qui, sans l’intercession des sœurs de la Miséricorde, eût aussi fait pendre ce laquais trop pitoyable. L’évêque de Nîmes, Fléchier, ne trouve pas un mot de blâme pour cette terrible hécatombe humaine, laquelle était, dit-il, la réparation du scandale occasionné par le chant des psaumes tandis qu’on était à vêpres.

Près d’Aix, en 1686, les soldats cernent une assemblée, font une décharge concentrique, puis frappent sans pitié d’estoc et de taille ; six cents cadavres restent sur place, on fait trois cents prisonnières et les soldats s’amusent à leur larder le sein et les cuisses à coups de baïonnettes. Dans une autre assemblée, en 1689, trois cents personnes furent massacrées, et l’on compte plus de trois cents assemblées surprises et dispersées par les troupes ou par les communautés catholiques. On sait à peu près le nombre des victimes légalement frappées, en vertu d’une condamnation ; on a les noms, d’environ quinze cents protestants envoyés aux galères, d’une centaine de ministres ou prédicants pendus, roués ou brûlés vifs. Mais qui pourrait dire le chiffre des malheureux tombés sur le lieu où ils s’étaient réunis pour prier, pendus sur place sans forme ni figure de procès, tués en route comme embarrassant la marche des soldats qui les emmenaient, ou succombant au fond d’un obscur cachot après des années de cruelle captivité ?

Pendant plus de soixante années les sauvages instructions données pour la dispersion des assemblées furent strictement exécutées.

Le baron de Breteuil, ministre de Louis XVI, rappelle dans son mémoire au roi, qu’au milieu du XVIIIe siècle, des troupes étaient encore envoyées dans les bois pour disperser par le fer et le feu ces multitudes de vieillards, de femmes et d’enfants, de gens sans armes qui s’assemblaient pour prier Dieu. « J’ai vu, dit-il, ces propres mots dans les instructions que donnait aux troupes le commandant d’une grande province, connu pour son extrême indulgence : Il sera bon que vous ordonniez, dans vos instructions particulières aux officiers qui doivent marcher, de tirer le plus tard qu’ils pourront sur ceux qui ne se défendront pas. »

En 1754, le duc de Richelieu publie encore un ban pour la dispersion des assemblées dans lequel il est ordonné « de tirer sur les assemblées, lorsque l’officier commandant chaque corps ou détachement jugera à propos d’en donner l’ordre ».

Il arrivait souvent que les officiers auxquels était laissé ce terrible pouvoir discrétionnaire ; faisaient tirer sur les assemblées qu’ils surprenaient en prières. D’autres, au contraire, faisaient tirer en l’air, mais laissaient leurs soldats dépouiller les protestants, les maltraiter, insulter les femmes, et même les violer, leur faire l’amourà la dragonne, suivant une expression du temps.

Lettre de Court, 1745 : « Les dragons entreprirent de faire l’amour à la dragonne à une jeune fille ; des paysans qui travaillaient à leurs vignes accourent aux cris désespérés de la jeune fille et la délivrent. »

Voici, en effet, ce que raconte Court à l’occasion d’une assemblée surprise par les soldats dans le Dauphiné en 1749 et saluée d’une décharge inoffensive de coups de fusils : « Si les coups de fusils portèrent à faux, l’avidité des dragons ne le fit pas ; ils enlevèrent aux femmes et aux filles leurs bagues, les cœurs d’or qu’elles portent en pendants à leur cou, et leurs habits, et leurs coiffures, et tout l’argent qu’ils trouvèrent sur elles, de même que celui des hommes. »

À cette occasion, Court rappelle ce qui s’était passé quelques mois plus tôt dans le diocèse d’Uzès à une assemblée surprise par les dragons : « Plusieurs femmes ou filles furent insultées, presque au point d’être violées. On leur arracha les bagues des doigts, les crochets d’argent de leur ceinture, les colliers de perles qu’elles portaient à leur cou, et tout ce qu’elles avaient d’argent monnayé. »

Dans les années qui suivirent la publication de l’édit de révocation, on envoyait impitoyablement à la potence, tous les prisonniers qu’on avait faits aux assemblées ; il en fut ainsi pour un aveugle qui avait assisté près de Bordeaux à une assemblée. En 1689, deux femmes, nouvelles converties, sont amenées devant le juge ; on leur demande pourquoi elles sont retournées aux assemblées – par curiosité, répondent-elles. – Eh bien, leur dit le juge avec une cruelle ironie, avant de prononcer sa sentence, vous irez aussi à la potence par curiosité.

Mais le grand nombre des coupables rendait souvent impossible l’application de la peine de mort à tous les prisonniers faits aux assemblées. Dès le 40 janvier 1687, Louvois écrit à Bâville : « Sa Majesté n’a pas cru qu’il convînt à son service de se dispenser entièrement de la déclaration qui condamne à mort ceux qui assisteront aux assemblées. Elle désire que, de ceux qui ont été à l’assemblée d’auprès de Nîmes, deux des plus coupables soient condamnés à mort, et que tous les autres hommes soient condamnés aux galères. Si les preuves ne vous donnent point lieu de connaître qui sont les plus coupables, le roi désire que vous les fassiez tirer au sort pour que deux d’iceux soient exécutés à mort. »

Plus tard, l’intendant Foucault fait observer au ministre à propos d’un homme et de quatre femmes ayant assisté à une petite assemblée à Caen, que la peine de mort semblera un peu rude ; et le ministre consent à substituer à cette peine, celle des galères pour l’homme et de l’emprisonnement pour les femmes.

Cette substitution de peine devint bientôt la règle générale ; on se dispensa entièrement de la déclaration condamnant à mort ceux qui avaient assisté à une assemblée, on envoya les hommes aux galères et les femmes en prison. Les hommes assurèrent le recrutement de la chiourme des galères, les assemblées se multipliant de plus en plus ; on envoyait même des enfants aux galères, car l’amiral Baudin a relevé sur une feuille d’écrou du bagne de Marseille, cette annotation mise en face du nom d’un galérien condamné pour avoir, étant âgé de plus de douze ans, accompagne son père et sa mère au prêche.

Quant aux femmes, à partir de 1717, on leur consacra comme prison la tour de Constance à Aigues-Mortes, où l’on n’avait pas à redouter leur évasion.

Alors que les hôtes des autres prisons recevaient le pain du roi, les prisonnières de la tour de Constance devaient payer de leurs deniers le pain, seul aliment qu’on leur donnât. « Elles étaient là, dit Court, abandonnées de tout le monde, livrées en proie à la vermine, presque destituées d’habits et semblables à des squelettes. » La prison était composée de deux grandes salles rondes superposées, au milieu desquelles était une ouverture permettant à la fumée de sortir, le feu se faisant au centre de ces salles ; ces mêmes ouvertures servaient aussi à éclairer et à aérer les deux salles et permettaient en même temps au vent et à la pluie d’y entrer. Les lits des prisonnières placés à la circonférence et adossés au mur, étaient sans matelas, garnis seulement de draps grossiers et de minces couvertures. Séparées du monde entier, souffrant de la faim et du froid, ces prisonnières restaient oubliées dans cet enfer, pendant de longues années, jusqu’à ce qu’elles devinssent folles ou que la mort mit fin à leurs souffrances. Marie Durand, sœur d’un ministre, délivrée quelques mois avant les autres prisonnières de la tour de Constance, avait subi trente-huit années de captivité, elle ne pouvait plus marcher ni travailler assise à des ouvrages à la main, tant sa constitution avait été affaiblie par les souffrances et les privations qu’elle avait endurées.

Au mois de janvier 1767, le chevalier de Boufflus, faisant une tournée d’inspection avec le prince de Beauvau, gouverneur du Languedoc, s’arrête avec lui à la tour de Constance et tous deux pénètrent dans la prison : « Nous voyons, dit-il, une grande, salle privée d’air et de jour, quatorze femmes y languissaient dans la misère et les larmes…, je les vois encore à cette apparition, tomber toutes à la fois aux pieds du commandant, les inonder de leurs larmes, essayer des paroles, ne trouver quelques, sanglots, puis, enhardies par nos consolations, nous raconter toutes ensemble, leurs communes douleurs ; hélas ! tout leur crime était d’avoir été élevées dans la même religion que Henri IV. » M. de Beauvau fait connaître à la cour le spectacle lamentable auquel il a assisté, mais au lieu de l’ordre de mise en liberté des quatorze prisonnières qu’il avait sollicité, il ne reçoit de Versailles que la permission de délivrer trois ou quatre de ces malheureuses. De son propre mouvement il les fait cependant mettre toutes en liberté, et explique ainsi au ministre ce coup d’autorité. « La justice et l’humanité parlaient également pour ces infortunées, je ne me suis pas permis de choisir entre elles, et, après leur sortie de la tour, je l’ai fait fermer, dans l’espoir qu’elle ne s’ouvrirait plus pour une semblable cause. »

Le secrétaire d’État, la Vrillière, lui fit de vifs reproches et lui enjoignit même de revenir sur la mesure qu’il avait prise, faute de quoi il ne répondait pas de la conservation de sa place. M. de Beauvau répondit fièrement : « Le roi est maître de m’ôter la place qu’il m’a confiée, mais non de m’empêcher d’en remplir les devoirs selon ma conscience et mon honneur. »

Les quatorze prisonnières qu’il avait délivrées restèrent en liberté et il conserva son gouvernement du Languedoc, mais ce n’est qu’en 1769 que la prison de la tour de Constance fut définitivement fermée.

Pour assurer l’exécution de l’édit de révocation, interdisant l’exercice public du culte protestant, on ne s’était pas borné à édicter contre ceux qui se rendaient aux assemblées, ces terribles peines des galères pour les hommes, de l’emprisonnement perpétuel pour les femmes.

On avait eu recours à tous les moyens pour empêcher que les assemblées pussent avoir lieu, de manière à ce qu’il fût impossible aux protestants de se réunir, pour prier Dieu à leur manière, soit dans les maisons, soit sous la couverture du ciel.

On avait obligé les nouveaux convertis de chaque communauté à prendre des délibérations par lesquelles ils s’érigeaient en inspecteurs les uns des autres, et s’engageaient à empêcher que les édits ne fussent violés. Ainsi, dans une délibération des habitants de Saint-Jean-de-Gardonnenque, en date du 17 novembre 1686, on lit : « Tous lesdits habitants, ci-dessus dénommés, s’obligent à mettre des espions à toutes les avenues de la paroisse pour éviter et empêcher les assemblées de quelques fugitifs. »

Si les nouveaux convertis ne tenaient pas leur promesse et n’avertissaient point les autorités, les soldats prévenus par quelques-uns des faux frères que l’on entretenait partout à grands frais, ou par un catholique, arrivaient dans les localités près desquelles devait se tenir une assemblée, et, se faisant accompagner par le curé, procédaient à des visites domiciliaires. Tout absent était réputé coupable d’avoir assisté à l’assemblée s’il ne pouvait justifier d’un motif légitime d’absence.

On avait pensé, sur l’avis conforme de Bâville, que le moyen le plus efficace pour empêcher les assemblées, était de rendre responsables les communautés sur le territoire desquelles elles se seraient tenues, et de condamner à des amendes solidaires tous les habitants.

En 1712, deux arrondissements dans lesquels s’étaient tenues deux assemblées, surprises par les soldats, étaient condamnés, l’un à 1500 l’autre à 3 000 livres d’amende.

En 1754, l’intendant Saint-Priest condamne encore à mille livres d’amende les habitants nouveaux convertis de l’arrondissement de Revel, dans le taillable duquel était situé le bois où une assemblée s’était tenue. À la même époque, les habitants de Clairac, Tonneins et Nérac, déclarent dans une supplique, que les amendes arbitraires qu’on leur inflige, à raison d’assemblées tenues sur leurs territoires, les épuisent, et les mettent hors d’état de payer leurs impositions ordinaires.

Peu à peu les communautés en vinrent, cependant, à considérer les amendes qu’on leur infligeait pour avoir souffert des assemblées sur leurs territoires, comme une sorte d’abonnement à payer, pour avoir la faculté de célébrer leur culte au désert, en violation des édits.

Pour prévenir la réunion des assemblées, la constante préoccupation du Gouvernement était d’empêcher, par tous les moyens, que les huguenots pussent trouver des ministres, ou des prédicants faisant fonctions de ministres pour exercer leur culte au désert.

Une ordonnance du 1er juillet 1686, édicte la peine de mort, contre tout ministre rentré ou non sorti ; la même peine est appliquée à ceux qui, sans mandat, viennent spontanément remplir le rôle de ministres dans les assemblées.

En 1701, Bâville écrit à l’évêque de Nîmes : « Le prophète, monsieur, que vous avez interrogé ce matin sera bientôt expédié ; j’ai condamné ce matin à mort quatre prédicants du Vivarais, et une femme qui faisait accroire qu’elle pleurait du sang ; j’ai condamné aussi une célèbre prédicante au fouet et à la fleur de lys. Je ne ferai aucune grâce aux prédicants… »

« J’ai fait prendre et punir, écrit-il ailleurs, seize de ces prédicateurs, je n’en connais plus que deux qui sont fort cassés, que j’espère arrêter s’ils paraissent. »

De 1685 à 1762, une centaine de pasteurs, prophètes ou prédicants furent cruellement suppliciés, roués ou pendus, pour avoir prêché au désert ; quant aux prédicantes, on finit par se borner à les enfermer à l’hôpital comme insensées. Le dernier martyr de cet apostolat errant, fut le pasteur Rochette condamné à être pendu et étranglé, le 18 février 1762 « comme atteint et convaincu d’avoir fait les fonctions de ministre de la religion prétendue réformée, prêché, baptisé, fait la cène et des mariages dans des assemblées désignées du nom de désert. »

Au début, voulant terrifier les populations par l’horreur des supplices, on avait laissé des patients pendant de longues heures sur la roue, les os et les membres brisés, avant de leur donner le coup mortel, le coup de grâce ; mais cette barbarie, loin d’avoir le succès qu’on en attendait, avait, grâce à l’héroïque constance des victimes, surexcité le fanatisme des religionnaires. On fut donc obligé, par politique, d’agir plus humainement.

« La mort la plus prompte à ces gens-là, disait le maréchal de Villars, à l’occasion du supplice de Fulcran Bey, est toujours la plus convenable ; il est surtout convenable de ne pas donner à un peuple gâté le spectacle d’un prêtre qui crie et d’un patient, qui le méprise. » L’impitoyable Bâville avait fini par se ranger lui-même à cet avis et le pasteur Brousson ayant été condamné à être roué vif, Bâville demanda que le condamné fût étranglé avant d’être mis sur la roue, afin, dit-il, de finir promptement le spectacle.

Pour empêcher les patients de haranguer la foule à leurs derniers moments, on avait commencé par les mener au supplice avec un bâillon dans la bouche ; l’usage du bâillon ayant paru trop odieux, dit Élie Benoît, on laissa aux condamnés l’apparence d’avoir la liberté de parler, mais on mit au pied de l’échelle des tambours qui battaient jusqu’à ce que le patient eût expiré.

« Étonnantes vicissitudes des choses humaines, s’écrie de Félice, qui eût dit à Louis XIV que son arrière-petit-fils, un roi de France, aurait aussi la voix étouffée par des tambours sur l’échafaud ! »

Pour se saisir des ministres, on ne négligeait rien, on mettait leur tête à prix ; la prime de trois à cinq mille livres promise au délateur qui ferait prendre un ministre, fut portée à dix mille livres, pour Brousson et pour Court, à vingt mille livres pour Paul Rabaut, un des derniers et des plus illustres de ces pasteurs du désert.

Ce n’était pas seulement par des primes en argent que l’on cherchait à provoquer les trahisons ; ainsi l’on avait promis un régiment de dragons à un gentilhomme s’il faisait prendre Court, et ce traître avait provoqué une assemblée près d’Alais afin de gagner son régiment. Court se rend à cette assemblée, mais, à l’arrivée des troupes, il trouve moyen de s’enfuir, et pour se mettre à l’abri des poursuites, est obligé de rester caché pendant vingt-quatre heures sous un tas d’immondices.

Quant aux soldats, on excitait leur zèle en leur permettant de dépouiller ceux qui faisaient partie d’une assemblée surprise, et les officiers qui capturaient un pasteur, pouvaient espérer un grade, ou une récompense honorifique. Le lieutenant qui avait pris le pasteur Bénézet lui ayant dit avec satisfaction : « – Votre prise me procurera la Croix de Saint-Louis. »

« Oui, réplique fièrement le futur martyr, ce sera une croix de sang qui vous reprochera toujours. »

On entretenait, à beaux deniers comptants, un service d’espions chargés de surveiller et de faire prendre ces pasteurs ambulants, si bien que les intendants avaient la liste de toutes les maisons où ces pasteurs pouvaient songer à demander asile.

On écrit du Poitou à Court : « les mouches volent sous toutes sortes de formes, malgré que nous soyons en hiver, pour tacher de pincer les ministres. »

« Je sais, dit Paul Rabaut, qu’il y a un nombre considérable d’espions à mes trousses. Ils se tiennent tous les soirs aux endroits où ils s’imaginent, que je dois passer et y restent jusque bien avant dans la nuit. » Un soir, il se rend au logis qui lui a été préparé au moment d’entrer dans la maison il aperçoit un homme assis qui lui parait suspect. Il fait semblant d’entrer dans la maison voisine, et revient à son asile sans être aperçu.

Le lendemain matin, la maison où l’on avait cru le voir entrer, était investie par un détachement de soldats. Rabaud s’empresse de sortir pour gagner une porte de la ville. « J’observai, dit-il, de marcher au petit pas, sans que la sentinelle ne soupçonnât rien, et, pour mieux la tromper, je chantai tout doucement, mais de manière qu’elle pût m’entendre ; dès que je fus, hors de la vue de la sentinelle, je doublai le pas. » Rabaut rencontre des amis qui le conduisent à une maison écartée et le pressent instamment d’y coucher ; il refuse et part à neuf heures du soir ; il n’était pas à cinquante pas de là que la maison est entourée par des soldats et fouillée du haut en bas.

« Je viens d’apprendre, écrit-il encore le 19 mai 1752, de deux ou trois endroits différents qu’on met en usage les moyens les plus diaboliques pour se défaire de moi. On emploie des soldats travestis et d’autres gens de sac et de corde qui, armés de pistolets, doivent tâcher de me trouver, ou en ville, ou aux assemblées, et s’ils ne peuvent pas me saisir vivant, ils sont chargés de me mander à l’autre monde par la voie de l’assassinat. Jugez par là, si j’ai besoin de redoubler de précautions. »

Les faux frères auxquels les pasteurs venaient demander asile, et que pouvait tenter l’appât de la prime promise pour leur capture, constituaient un danger incessant et des plus sérieux pour ces prédicateurs ambulants. Grâce au peu d’épaisseur d’une cloison, Brousson, caché dans une maison, entend ses hôtes délibérer entre eux s’ils doivent ou non le livrer ; il s’empresse d’aller chercher ailleurs un asile plus sûr.

Le pasteur Béranger arrive à une ferme isolée dans le Dauphiné où il comptait passer la nuit. Il aperçoit un enfant sur la porte et lui dit :

« Mon ami, est-ce qu’il y a des étrangers dans la maison ?

– Non !

– Est-ce que ton père y est ?

– Non, il est allé chercher les gendarmes parce que le ministre doit loger chez nous ce soir. »

Bien entendu, Béranger s’empresse de poursuivre sa route.

Bien souvent, les pasteurs étaient obligés de s’adresser à des hôtes dont ils n’étaient pas sûrs, par suite de la terreur résultant de la rigoureuse application de la loi portant que ceux qui leur donneraient asile, aide ou assistance, seraient passibles des galères ou même de la peine de mort.

Voyant se fermer toutes les portes devant eux, traqués comme des fauves, errant de village en village, obligés de passer des jours et des nuits dans des bois, des avenues, des granges isolées, les pasteurs du désert menaient une rude et terrible existence, souffrant du froid, de la faim, et toujours sous la menace imminente de la mort.

« Nous sommes, dit Paul Rabaut, errants par les déserts et par les montagnes, exposés à toutes les injures de l’air, n’ayant que la terre pour lit et le ciel pour couverture.

« Mon occupation, dit-il, est de circuler sans cesse de lieu en lieu, et de prêcher souvent jusqu’à cinq fois dans une semaine, quelquefois le jour, mais le plus souvent la nuit. Notre fatigue est grande : marcher, veiller, demeurer debout sur une pierre, presque les trois heures entières, prêcher en rase campagne. »

L’activité de Brousson était prodigieuse ; pendant deux ans, il présida trois ou quatre assemblées chaque semaine ; il lui arriva pendant quinze journées consécutives de prêcher chaque deux nuits, en se reposant le jour et en employant la nuit d’intervalle à voyager.

Court n’était pas moins actif ; pendant deux mois il fit plus de cent lieues, allant d’assemblée en assemblée, à pied, quand ses forces le lui permettaient, porté par deux hommes quand la fièvre qui le minait l’empêchait de marcher.

Il n’y avait aucune sorte de déguisement que les pasteurs, obligés de changer souvent de nom pour dépister les espions, n’employassent ; ils se travestissaient en mendiants, en pèlerins, en officiers, en soldats, en vendeurs de chapelets et d’images ; mais, en route, ils étaient sans cesse exposés à de fâcheuses rencontres, et devaient n’attendre leur salut que de leur sang-froid et de leur esprit d’à-propos.

Un pasteur, déguisé en mendiant, contrefait, le sourd ; un autre ne doit son salut qu’au sang-froid avec lequel il joue le rôle de l’ermite dont il avait revêtu la robe.

Un jour, Court entre dans un cabaret ; survient le commandant d’une garnison voisine qui l’interroge durement. La netteté des réponses de Court satisfait l’officier qui prie le prédicant d’attendre qu’il ait fait son courrier, et lui donne à porter deux lettres, l’une pour le duc de Roquelaure, l’autre pour Bâville, le terrible intendant du Languedoc.

Des soldats viennent frapper à la porte d’une maison d’un faubourg de Sedan où Brousson tenait une assemblée. Brousson payant d’audace, va ouvrir à l’officier ; on le prend pour le maître de la maison, et l’on arrête un des assistants qui, ayant un bâton à la main, est pris pour le ministre. Brousson se cache derrière la porte d’une chambre basse et échappe aux recherches. Avant de sortir de la maison, l’officier demande à un enfant de cinq ou six ans de lui dire où couche le ministre ; l’enfant répond qu’il ne le sait pas. Mais, quelques instants plus tard, ayant aperçu Brousson, cet enfant court à l’officier et lui dit : Monsieur, ici, ici, en lui montrant la porte derrière laquelle se tenait caché le proscrit. L’officier ne comprend pas ce que veut dire l’enfant et s’éloigne. Brousson prend les vêtements d’un palefrenier, se charge d’un fardeau et peut ainsi traverser, sans être reconnu, les postes que l’on avait mis à l’entrée du faubourg.

Le prédicant Fouché, caché à Nîmes, entend publier au son de la trompette, défense à qui que ce soit de sortir des maisons, et voit que des sentinelles sont postées au coin des rues pour que personne ne puisse échapper à la visite domiciliaire qu’on va opérer. Au moment où la sentinelle qui garde sa rue tourne le dos, il traverse la rue et demande à une femme qu’il avait aperçue dans la maison en face de lui, de le cacher dans son lit, moyennant bonne récompense. La femme se laisse tenter et le place à côté d’un enfant qu’elle avait malade au lit. L’officier qui procédait à la visite des maisons arrive et demande à la femme si elle n’a personne chez elle.

– Un enfant, dit-elle, au lit, malade. L’officier fait le tour du lit, voit l’enfant et n’aperçoit pas Fouché caché sous la couverture. Touché de compassion pour l’enfant en voyant la misère qui règne au logis, cet officier tire une pièce d’argent de sa poche, la donne à la mère et sort de la maison.

Semblable aventure arrive à Court ; les soldats frappent à la porte de la maison où il était réfugié ; Il se couche dans la ruelle du lit de son hôte, à qui il recommande de faire le malade et d’envoyer sa femme ouvrir aux soldats : Les soldats entrent, fouillent les armoires, sondent les murs et ne trouvent rien. Pendant ce temps, le faux malade, pâle de peur, entrouvrait ses rideaux et protestait de la peine qu’il éprouvait de ne pouvoir se lever pour aider les soldats dans leurs recherches.

Un autre prédicant n’a que le temps de se cacher dans le pétrin de son hôte, au moment où les soldats arrivent. Après l’avoir cherché vainement, ceux-ci s’attablent autour du pétrin, et ce n’est qu’après leur départ, longtemps retardé, que le prédicant peut sortir de son incommode cachette.

C’était souvent un hasard qui sauvait les proscrits : un jour, Bâville écrit à l’évêque de Nîmes lui indiquant où est réfugié Brousson qu’il veut faire arrêter ; pendant que le prélat reconduit un visiteur, un gentilhomme nouveau converti lit la lettre restée ouverte sur une table, il se hâte de sortir et de prévenir Brousson qui a à peine le temps de déloger.

Une autre fois, Court, assis au pied d’un arbre, préparait un sermon. Il voit les soldats investir la maison dans laquelle il avait trouvé asile ; il grimpe à l’arbre, et, caché par le feuillage, il assiste invisible aux recherches faites pour s’assurer de sa personne.

Un jour, la métairie où Brousson était réfugié près de Nîmes est investie ; son hôte n’a que le temps de le faire descendre dans un puits où une petite excavation à fleur d’eau existait. Brousson s’y blottit. Après avoir fouillé la maison, les soldats attachent l’un deux qui connaissait la cachette à une corde, et le descendent dans le puits. Le soldat, échauffé, une fois dans le puits, se sent saisi par le froid ; craignant un accident, se fait retirer avant d’arriver au fonds du puits, en criant qu’il n’y a personne dans la cachette. Brousson est sauvé, alors qu’il se croyait irrémédiablement perdu.

Le prédicant Henri Pourtal se trouvant dans une maison où il avait fait une petite assemblée, ne trouve d’autre moyen d’échapper aux soldats que de monter au haut de la maison et de passer sur les toits des maisons voisines. Poursuivi de près, il se jette dans un puits où, par bonheur, il n’a de l’eau que jusqu’au cou, mais il est obligé de demeurer trois heures dans l’eau glacée. Quand on l’en retire, demi-mort, il s’aperçoit qu’en descendant d’une maison à l’autre il s’est blessé si gravement à la jambe, qu’il doit rester six semaines sans pouvoir marcher.

Pendant trois nuits consécutives, par une pluie battante, les troupes font une battue dans un bois, entre Uzès et Alais, où Brousson s’était réfugié. La troisième nuit, Brousson dut s’abriter sous un rocher dans une position si gênée qu’il ne pouvait ni se lever ni s’allonger ; au matin, percé jusqu’aux os par la pluie et transi de froid, il sort de sa cachette pour se rendre à un village voisin. Il entend des voix, c’était une troupe de soldats ; il n’a que le temps de se cacher dans les broussailles. Il voit successivement passer plusieurs détachements qui vont investir le village où il comptait se rendre.

Fouché, échappé par miracle à ceux qui venaient l’arrêter dans son asile, sur la dénonciation d’un traître, passe une rivière à la nage par un froid glacial. Transi, à demi-mort, il marche dans la neige sans savoir où il va, traverse à minuit un village inconnu, où il n’ose demander asile et se perd dans les bois. Il arrive à Audabias, chez un paysan qui l’a logé autrefois, mais celui-ci n’ose le garder ; aussitôt le jour paru il faut déloger.

Pressé par la faim, harassé de fatigue, Fouché marche toujours sans savoir où il va. Il rencontre enfin un homme de sa connaissance qui le campe sous un rocher dans un bois et va aux provisions. Pendant deux heures Fouché souffrant du froid et de la faim l’attend ; quand l’autre revient, Fouché a peine à mâcher une bouchée de pain tant il est affaibli, mais une gorgée de vin qu’il avale le remet, son compagnon le mène à une métairie ; mais il y a des domestiques papistes et il faut les laisser coucher avant d’entrer. Fouché reste encore deux heures exposé à la rigueur du froid ; il entre enfin, on lui prépare un lit ; mais, au moment où il va porter à sa bouche le bouillon qu’on lui a fait chauffer, les soldats arrivent. Il s’échappe en franchissant une haute muraille ; arrivé dans un petit bois il s’évanouit de faiblesse et d’épuisement. Ce n’est qu’au bout de deux heures que les forces lui reviennent et qu’il peut suivre son compagnon, qui le mène chez une veuve à Saint-Laurent. Le lendemain matin, nouvelle alerte, les soldats qui poursuivaient Fouché, s’arrêtent pour se rafraîchir chez cette veuve qui vendait du vin, mais heureusement ils ne songent point à faire de recherches ; sans quoi Fouché était perdu.

Le pasteur Coffin peut s’échapper des mains de l’officier qui l’avait arrêté et fuit en Hollande ; le proposant Mézarel, pris par les soldats et enfermé dans une grange, se met pieds nus et peut fuir sans bruit ; Pradel surpris avec l’assemblée qu’il présidait, saute à cheval et est longtemps poursuivi par les soldats, entendant les cris répétés de : « à celui du cheval ! » et des coups de fusil ; de même le pasteur Gibert, fuyant d’une assemblée à cheval avec deux autres huguenots, voit l’un de ses compagnons tué à ses côtés, et l’autre fait prisonnier avec la valise dans laquelle étaient renfermés ses papiers, il n’échappe lui-même aux soldats qu’en se cachant dans un bois.

Les périls renaissaient sans cesse et plus d’un, comme Romans pris deux fois et deux fois miraculeusement délivré de la prison, ou comme le futur martyr Brousson, dut momentanément repasser à l’étranger quand la persécution devenait trop ardente ; ce n’était pas une fuite, mais un délai du martyre. Un jour venait, en effet, pour presque tous les pasteurs du désert, la malchance, la trahison, les livraient aux mains de l’autorité ; or, être pris, c’était la mort sur le gibet ou sur la roue, après les tortures de la question ordinaire et extraordinaire.

Quand les pasteurs manquaient, c’étaient des artisans, des femmes, des enfants qui les remplaçaient et faisaient aux fidèles des exhortations, où leur lisaient des prières.

C’est surtout à partir de 1715, après la fondation à Lausanne, du séminaire des pasteurs du désert, que l’on aurait pu appeler l’école des martyrs – que la célébration du culte proscrit reprit partout avec suite et régularité, bien que l’on ne sût jamais si la prière commencée dans la réunion tenue sous la couverture du ciel, serait ou non interrompue par la sanglante intervention des soldats.

Les anciens avaient la charge de convoquer les assemblées. Le matin ou dans la journée un homme passait. Il trouvait un frère, lui annonçait qu’un prêche devait avoir lieu à telle heure et dans tel endroit, puis disparaissait. Cependant, portes closes, on se communiquait la bonne nouvelle. Enfin la nuit venait, alors mille craintes, quelque espion ou quelque faux frère n’avait-il pas appris la convocation de l’assemblée ? Vers dix heures, on partait de la ville ou du village, non par bande, cela eût pu donner des soupçons, mais séparément, sauf à se réunir plus tard en quelque endroit isolé. La course était longue, une lieue, deux lieues. Les femmes étaient harassées et les enfants avaient peine à suivre ; chose grave ! les abandonner en route, ou les renvoyer à la maison, c’était les exposer à être surpris par les troupes, les livrer aux interrogatoires qui pouvaient avoir ce résultat de faire surprendre l’assemblée. Il fallait alors que les hommes robustes de la troupe portassent les enfants sur leurs épaules. L’assemblée était lente à se réunir, cependant on disposait les sentinelles pour donner l’alarme et éviter la surprise.

Pour revenir au logis, on prenait les mêmes précautions qu’au départ. Les femmes rentrées à la maison, lavaient avant le jour leurs vêtements et ceux de leurs maris souillés par la boue du chemin, afin que rien ne pût faire soupçonner la sortie nocturne.

Peu à peu les assemblées devinrent de plus en plus nombreuses, et presque publiques, lorsque le gouvernement, par suite de quelque guerre avec l’étranger, n’avait pas la libre disposition de ses troupes.

Comment en eût-il été autrement alors que les exigences inadmissibles du clergé catholique chargé de la tenue des registres de l’état civil, mettait les huguenots dans la nécessité de recourir aux pasteurs pour faire constater la naissance de leurs enfants et pour faire bénir leurs mariages ?

En 1745, Rabaut écrit : « On me mande de Montauban que les protestants y donnent des marques extraordinaires de zèle ; ils font des assemblées de trente mille personnes. Un dimanche du mois dernier on y bénit cent quatre-vingt-un mariages, le dimanche suivant soixante, et celui d’après quatorze. »

Deux ans plus tôt, il écrivait à Court « Je voudrais de tout mon cœur que vous passiez le dimanche matin au chemin de Montpellier, près de la ville de Nîmes, lorsque nous faisons quelque assemblée pour cette dernière église, à la place nommée vulgairement la fon de Langlade où vous avez prêché si souvent ; vous verriez autant que votre vue pourrait s’étendre le long du chemin, une multitude étonnante de nos pauvres frères, la joie peinte sur le visage, marchant avec allégresse pour se rendre à la maison du Seigneur.

Vous verriez des vieillards, courbés sous le faix des années, et qui peuvent à peine se soutenir, à qui le zèle donne du courage et des forces et qui marchent d’un pas presque aussi assuré que s’ils étaient à la fleur de leur âge. Vous verriez des calèches et des charrettes, pleines d’impotents, d’estropiés ou d’infirmes qui, ne pouvant se délivrer des maux de leurs corps, vont chercher les remèdes nécessaires à ceux de leurs âmes. »

Ces assemblées publiques se tenaient à la veille de la violente persécution que le duc de Richelieu allait exercer dans le Languedoc contre les huguenots, et dont la rigueur fut telle que Rabaut lui-même songea un instant à émigrer en Irlande avec la majeure partie des fidèles de son église. Mais cette recrudescence de persécution ne pouvait durer, elle constituait un véritable anachronisme en présence du progrès que faisaient chaque jour les idées de tolérance, malgré les efforts du clergé et ses incessantes réclamations pour que l’on maintînt la rigoureuse application des lois barbares édictées contre les huguenots.

Les soldats en vinrent, ainsi que le constate avec surprise le secrétaire d’État Saint-Florentin, à avoir le préjugé, qu’ils n’étaient pas faits pour inquiéter les religionnaires.

Les officiers, dit Rulhières, ralentissaient la marche de leurs détachements pour donner aux religionnaires assemblés le temps de fuir. Ils avaient soin de se faire voir longtemps avant de pouvoir les atteindre. Ils prenaient des routes, perdues et par lesquelles ils cherchaient à égarer leurs soldats.

En 1768, quatre-vingts huguenots d’Orange sont surpris dans une grotte par des soldats qui les couchent en joue, ils continuent à chanter leurs psaumes ; quatre chefs de famille sortant de la grotte, se livrent aux soldats, à condition que le reste de l’assemblée pourra se retirer librement. L’officier accepte la proposition et conseille à ses prisonniers de s’évader en route, promettant de favoriser leur fuite. Ceux-ci refusent et sont mis en prison ; mais, deux mois après, ils étaient mis en liberté, le temps des exécutions était passé.

Les gouverneurs de province et les commandants de troupes veulent cependant parfois intimider par de vaines menaces, les huguenots qui se rassemblent pour prier contrairement aux édits non abrogés.

Un commandant de dragons écrit à l’intendant le 27 décembre 1765 : « Il est bon que vous fassiez assembler chez vous les plus notables d’entre les religionnaires de Nions, Vinsobre et Venteral et que, vous leur notifiiez, de la part de M. le maréchal, que s’ils continuent de s’assembler au mépris des ordres du roi, sur le compte qui lui en sera rendu, il les fera arrêter et les rendra responsables des assemblées qui se feront, attendu qu’étant, les plus considérables, ils ne peuvent que beaucoup influer sur les démarches de leurs confrères ; et qu’ils seront emprisonnés au moment qu’ils s’y attendront le moins, s’ils persistent d’assister aux assemblées après la défense qui leur en aura été faite. C’est avec regret que le maréchal se décide à cette extrémité, mais il voit qu’il faut absolument quelque exemple de cette espèce, pour mieux imposer et contenir tous les autres. »

Les vaines menaces que l’opinion publique ne permettait plus de mettre à exécution ne produisaient aucun effet.

Le gouvernement en vint à négocier avec les huguenots pour obtenir d’eux qu’ils s’abstinssent de violer la loitrop ouvertement. Ainsi, en 1765, le maréchal de Tonnerre donnait à ses subordonnés les instructions suivantes : « Il faut employer adroitement tour à tour la douceur et la menace en leur faisant envisager (aux huguenots) le danger où ils s’exposent, s’ils continuent de se rendre aussi ouvertement rebelles aux ordres du roi. MM. les curés, conduits par un zèle trop ardent et souvent mal entendu, ne connaissent que la violence et le châtiment pour réprimer le scandale protestant ; vous vous tiendrez en garde contre de pareilles insinuations ; cependant, si quelqu’un des protestants se rendait trop publiquement réfractaire aux ordres du roi, vous le ferez arrêter. »

« Il n’est plus question dès lors, de proscrire l’exercice du culte domestique qui, en dépit des lois, a repris droit de cité. En 1761, à l’occasion de l’arrestation du pasteur Rochelle, Voltaire écrit à un protestant : « Vous ne devez pas douter qu’on ne soit très indigné à la cour contre les assemblées publiques. On vous permet de faire dans vos maisons tout ce qui vous plaît, cela est bien honnête. »

M. de Vergennes adresse plus tard à l’intendant de Rouen les instructions suivantes : « Le roi ne veut pas souffrir que les protestants s’assemblent ainsi, ni qu’ils donnent la moindre publicité à leur culte. Ils doivent rester dans l’intérieur de leurs maisons et de leurs familles. Ce n’est que par ce moyen qu’ils pourront se rendre dignes de l’indulgence et de la bonté de Sa Majesté. »

En 1778, on voit encore le gouvernement flotter indécis entre l’exécution des mesures de rigueur, et la crainte de l’effet que pourra produire cette exécution. Là, où les huguenots, sont peu nombreux, il fait arrêter un pasteur ou fermer une école ; là au contraire, où ils sont en force, comme dans le Languedoc, il n’ose prescrire à l’intendant d’employer ces moyens de rigueur, autorisés par les lois, ou seulement quelques-uns d’entre eux, « qu’en évitant ceux dont l’exécution pourrait exciter une fermentation qu’il serait peut être ensuite bien difficile d’éteindre. » Dans la Saintonge, le ministre prescrit la démolition du temple de Saint-Fort de Cosnac, mais il ajoute : « Si vous prévoyez qu’elle puisse exciter quelque émeute qu’il soit ensuite trop difficile d’apaiser, vous voudrez bien la différer jusqu’à ce que, sur l’avis que vous m’en donnerez, j’aie pu prendre de nouveau les ordres de Sa Majesté. »

Les huguenots décorent une grange à Castelbarbe, près Orthez, la pourvoient d’une chaire, y célèbrent les mariages et les baptêmes publiquement. Le ministre fait mettre la grange sous scellés et ordonner l’arrestation de trois prédicants. Puis il écrit au comte de Périgord : « J’ai peine à croire que cet exemple puisse augmenter le nombre des émigrations…, L’on est obligé de fermer les yeux sur les assemblées au désert des protestants, même sur les assemblées peu nombreuses et peu éclatantes dans quelques maisons particulières ; mais qu’ils aient des temples publiquement connus, tels qu’ils en construisent, qu’ils y placent des chaires, c’est ce que le roi ne paraît nullement disposé à tolérer. » Quant aux conseils que donne l’intendant d’envoyer des dragons loger chez les huguenots, aux lieux où ils ont eu des assemblées, le ministre les repousse par cette fin de non-recevoir : « Ne trouvez-vous pas qu’il serait à craindre que cette expédition ne réveillât l’idée des anciennes dragonnades qui n’ont, dans le temps, que trop fait de bruit dans la France et dans toute l’Europe ? »

Toute la politique du gouvernement de Louis XVI était d’empêcher par des mesures isolées qui ne fissent pas trop de bruit, les huguenots de braver trop ouvertement, les lois interdisant dans le royaume tout culte autre que le catholique ; mais on n’osait plus sévir contre ceux qui refusaient de porter leurs enfants à l’église, pour être baptisés, ni contre ceux qui se mariaient publiquement devant des pasteurs.

Sans doute les terribles lois qui avaient été édictées contre les huguenots, par Louis XIV étaient toujours subsistantes, mais elles étaient lettres mortes, quoi que pussent faire le clergé et l’administration. Le gouvernement avait publiquement donné du reste, une preuve manifeste qu’il croyait lui-même à l’abrogation de fait de ces lois subsistantes, lorsque, en 1775, il avait fait une démarche officielle auprès d’un de ces pasteurs du désert que la loi ne connaissait que pour les envoyer à la potence. À cette époque, en effet, le contrôleur général, par ordre du roi, avait envoyé à Paul Rabaut, le plus influent de ces proscrits, un exemplaire de la circulaire adressée aux évêques catholiques afin de réclamer leur concours pour arrêter le brigandage qui s’exerçait sur les blés.

Eût-il voulu le faire, Louis XVI n’aurait pu impunément braver l’opinion publique, en obéissant aux injonctions que l’orateur du clergé n’avait pas craint de lui adresser en ces termes : « Achevez l’œuvre que Louis le Grand avait entreprise et que Louis le Bien-Aimé a continué. Il vous est réservé de porter le dernier coup au calvinisme dans vos États. Ordonnez qu’on dissipe les assemblées des schismatiques. »

Non seulement Louis XVI ne pouvait recommencer l’œuvre sanglante et vaine de son arrière grand-père, mais encore il ne pouvait se refuser à reconnaître qu’il était impossible de laisser subsister intégralement une législation qui frappait de mort civile plus d’un million de ses sujets.

Dans le mémoire que lui adressait en 1786, son ministre M. de Breteuil, sur la situation faite aux protestants en France, on peignait ainsi cette situation : « ces infortunés également rejetés de nos tribunaux sous un nom et repoussés de nos Églises sous un autre nom, méconnus dans le même temps comme calvinistes et comme convertis, dans une entière impuissance d’obéir à des lois qui se détruisent l’une l’autre, et, par là destitués du moyen de faire admettre, ou devant un prêtre, ou devant un juge les témoignages de leurs naissances, de leurs mariages et de leurs sépultures, se sont vus, en quelque sorte, retranchés de la race humaine. »

Cette situation intolérable avait pour causes, non seulement les dispositions des édits, basés sur cette fiction légale et mensongère qu’il n’y avait plus de protestants en France, mais encore l’obstination du clergé à vouloir faire de son privilège de dresser les actes de l’état civil, un moyen de conversion ou de reconversion, pour les protestants et pour les nouveaux convertis.

En ce qui concerne les décès, la loi avait bien prescrit les formalités à remplir pour leur constatation devant le juge le plus voisin, mais par suite du terrible édit de 1713 déclarant relaps, tout huguenot, qui, ayant abjuré ou non, refuserait les sacrements à son lit de mort, les protestants écartaient soigneusement tous les témoins du chevet de leurs parents gravement malades. Et, une fois que ceux-ci étaient morts, ils négligeaient de remplir les formalités prescrites pour ne pas éveiller l’attention sur les circonstances d’une mort de nature à entraîner un procès à la mémoire du défunt et la confiscation de ses biens.

« Les parents des morts, dit Rulhières, les enterraient en secret, la nuit, dans leurs propres maisons, sans faire inscrire les décès sur aucun registre public, quels que fussent les dangers auxquels ils s’exposaient par ces sépultures clandestines. Ils ne tardaient pas, en effet, à être poursuivis par cette bizarre espèce d’inquisiteurs, par ces régisseurs et ces fermiers des biens des fugitifs, non moins avides de la dépouille des morts que de celle des fugitifs, et qui firent saisir les biens de ceux qui avaient ainsi disparu, prétendant qu’ils avaient fui, et, sous ce prétexte, s’emparant des successions que n’osait leur disputer une famille embarrassée de sa propre défense. »

Si, au contraire, le décès d’un protestant avait été constaté dans les formes prescrites par la loi, la femme que le défunt avait épousée hors l’Église, et les enfants nés de son mariage, se voyaient contester son héritage par d’avides collatéraux ; et certains parlements donnaient raison à ces spoliateurs, en déclarant concubine l’épouse, et bâtards les enfants légitimes.

Quant aux naissances, elles devaient être constatées par les curés dans les actes baptistaires, l’édit de révocation ayant décrété que tout enfant qui naîtrait de parents réformés devrait être porté à l’église pour y être baptisé.

Mais les huguenots furent détournés de faire porter leurs enfants à l’église, par l’entêtement que mirent les curés à vouloir qualifier de bâtards, les enfants nés de mariages contractés soit au désert, soit à l’étranger. Les huguenots se décidèrent donc à faire baptiser leurs enfants par les pasteurs allant d’assemblée en assemblée ; et ceux-ci avaient l’insolence, dit un intendant, de purifier les pères et mères des, enfants qui avaient été baptisés par un prêtre catholique. Pour obliger les parents à faire rebaptiser par le curé les enfants baptisés au désert, on eut recours à l’argument persuasif des logements militaires ; mais on y renonça pour y substituer le régime des amendes, après l’incident, que conte ainsi Rabaut : « Les protestants de la Gardonneuque, voyant les cavaliers de la maréchaussée à Lédignan pour contraindre à la rebaptisation, crurent qu’il fallait se mettre en bonne posture et faire trembler, tant les cavaliers que les prêtres. »

« En conséquence, ils donnèrent l’alarme aux cavaliers, et tirèrent quelques coups de fusil aux prêtres de Ners, de Guillion et de Languon. Le premier et le second furent dangereusement blessés, et en sont morts depuis ; le dernier n’eut qu’une légère égratignure. Les cavaliers appréhendèrent le même sort, décampèrent par l’ordre de M. l’intendant, et, en vertu du même ordre, restituèrent l’argent qu’ils avaient déjà retiré des protestants. »

La résistance obstinée des huguenots finit, sur ce point, comme sur tant d’autres, par avoir raison des prescriptions des édits les obligeant à faire baptiser leurs enfants par les curés, mais il en résultait que, chez eux, les naissances de même que les décès, n’étaient plus constatés par un document officiel pouvant être produit en justice.

Pour ce qui est des mariages, les curés catholiques, ne voulant pas admettre que le mariage est un contrat civil bien antérieur au christianisme, et absolument indépendant du sacrement, faisaient de leur privilège d’officiers d’état civil, un instrument de conversion. Voyant que les huguenots ne regardaient le mariage que comme une cérémonie civile, et se confessaient, sans scrupule, pour obtenir la bénédiction nuptiale, ils les firent communier, puis, exigèrent une abjuration par écrit. Quelques-uns, dit l’intendant Fontanieu, obligèrent les fiancés de jurer qu’ils croyaient leurs pères et mères damnés.

Puis on en vint à imposer aux fiancés, avant de les marier, de longues périodes d’épreuves, à les obliger à faire des actes de catholicité pendant des mois et même pendant plusieurs années.

Dans le Béarn, les curés faisaient attendre la bénédiction nuptiale aux futurs époux pendant deux, trois et quatre ans. Un placet adressé par des habitants de Bordeaux, en 1757, signale l’opposition faite par un ecclésiastique depuis huit ans, au mariage de Paul Decasses, ancien religionnaire.

L’année précédente, le secrétaire d’État Saint-Florentin avait été obligé de prier l’évêque de Dax d’ordonner à un de ses prêtres de marier enfin, après douze années d’épreuves, deux nouveaux convertis d’Orthez.

Les fiancés huguenots, pour se soustraire à de telles exigences, avaient voulu d’abord se contenter d’un contrat passé par devant notaire ; mais une loi vint interdire aux notaires de passer aucun contrat à moins qu’il ne fût produit un certificat de catholicité, constatant que le contrat serait ultérieurement validé par un mariage béni à l’église.

Quelques curés, moyennant finances, consentent alors à marier les huguenots sans exiger d’eux aucune preuve de catholicité.

Un curé du Poitou est condamné à dix livres d’amende pour exactions à ce sujet, et menacé de la saisie de son temporel s’il perçoit à l’avenir pour le mariage des religionnaires rien autre chose que les droits légitimement dus. Plusieurs autres curés sont incarcérés pour avoir marié des protestants moyennant de grosses rétributions. En 1746, un curé de la Saintonge est condamné aux galères, comme convaincu : « d’avoir conjoint par mariage des religionnaires, sans avoir observé les formalités prescrites par les lois de l’Église et de l’État, et d’avoir délivré des certificats de célébration de mariage à d’autres religionnaires, sans que lesdits se soient présentés devant lui. »

Le plus souvent les huguenots s’adressaient à des aumôniers, à des prêtres, n’appartenant pas à leurs paroisses. En 1710, l’évêque de Cap dénonce au chancelier Voisin un grand nombre de mariages célébrés dans son diocèse (trente dans une seule paroisse) par des aumôniers de régiment et autres prêtres ; quinze ans plus tard le même évêque dénonce encore des mariages faits par un prêtre inconnu. « Parfois les certificats de mariage étaient délivrés par de faux prêtres, empruntant le nom de tel ou tel ecclésiastique, et l’on voit en 1727, le prédicant Arnoux condamné aux galères, comme convaincu d’avoir pris le nom de Jean Cartier, prêtre aumônier sur les vaisseaux du roi, et d’avoir fait plusieurs mariages de religionnaires. » À partir de 1715, dans le Midi comme dans le Poitou et la Saintonge, presque tous les mariages se célébrèrent au désert devant les pasteurs. À Paris, les protestants se mariaient dans les chapelles des ambassadeurs de Suède et de Hollande. Quant aux huguenots qui se trouvaient à proximité des frontières, ils allaient se marier soit à Genève, soit dans les îles anglaises, parfois même à Londres.

Le clergé et la magistrature tenaient ces mariages pour nuls et non avenus. Les évêques faisaient assigner les époux comme concubinaires publics, donnant le scandale de vivre et demeurer ensemble sans avoir été mariés par leurs propres curés.

Les trois parlements de Grenoble, de Bordeaux et de Toulouse, attaquent les mariages au désert par la voie criminelle, ils condamnent les mariés, les hommes aux galères, les femmes à la prison et font brûler par la main du bourreau les certificats de mariage délivrés par les pasteurs et produits par ces mariés. Mais cette inique jurisprudence ne put se maintenir, en présence du nombre toujours croissant de ceux qui contrevenaient aux édits en recourant au ministère des pasteurs ; bientôt, ce fut en vain que les évêques réclamèrent des mesures de rigueur contre le brigandage des mariages au désert, l’administration fut obligée de rester sourde à leurs appels. En 1775, on estimait que les mariages au désert depuis quinze ans s’élevaient au nombre de plus de cent mille, et le gouverneur du Languedoc déclarait que, s’il fallait emprisonner tous les mariés au désert, les prisons de la province ne suffiraient pas pour les contenir.

S’il en était ainsi, c’est que les huguenots repoussés de l’Église par les exigences du clergé, avaient une facilité de plus en plus grande de faire bénir leurs unions par les pasteurs, depuis que les assemblées s’étaient multipliées et pouvaient se faire presque publiquement. C’est encore, parce que les synodes et les pasteurs déclaraient que les huguenots ne pouvaient se marier qu’au désert ou à l’étranger, que toute autre voie était déshonnête et coupable, quelles que fussent les conventions faites avec les prêtres catholiques. Censurés durement, par leurs pasteurs et menacés par eux d’excommunication, ceux qui avaient fléchi devant l’idole, en recevant la bénédiction nuptiale d’un prêtre catholique, durent faire réhabiliter leurs mariages suivant le rite calviniste.

Mais les unions, contractées hors de l’Église catholique, n’étant pas reconnues par la loi, les huguenots ne pouvaient se présenter devant les tribunaux dans aucune cause où ils eussent à procéder en qualité de pères, de maris, d’enfants, de parents, car jamais ils ne pouvaient prouver leur état par la production de titres légalement valables.

Dans les différents qu’ils avaient entre eux, ils recouraient souvent à des arbitres ; mais quand ils avaient affaire à des coreligionnaires de mauvaise foi, ou à des catholiques les appelant devant les tribunaux, ils ne pouvaient défendre leurs droits les plus incontestables contre les actions judiciaires les moins fondées.

Quelques parlements, pour écarter les malhonnêtes prétentions d’avides collatéraux voulant dépouiller la femme ou les enfants d’un de leurs parents mariés au désert, étaient obligés de se baser sur la possession d’état de la veuve ou des orphelins ; mais cet expédient légal mettait sur le même pied la concubine et l’épouse, le bâtard et l’enfant légitime.

Les ministres de Louis XVI comprirent qu’il n’était pas possible de laisser plus longtemps sans état civil, plus d’un million de Français, la vingtième partie des citoyens de la France, de les laisser « privés, ainsi que le disait Rulhières, du droit de donner le nom et les prérogatives d’épouses et d’enfants légitimes à ceux que la loi naturelle, supérieure à toutes les institutions civiles, ne cessaient de reconnaître sous ces deux titres. »

En 1787, un édit vint porter remède au mal ; cet édit se bornait, ainsi que le déclarait son exposé des motifs, à donner un état civil aux Français ne professant pas la religion catholique. Pour arriver à ce résultat, l’édit accordait aux non-catholiques le droit d’option entre le curé et le juge du lieu pour faire constater sur des registres ad hoc, leurs décès, leurs naissances et leurs mariages. Quand une déclaration de mariage avait été faite dans les formes prescrites, soit devant le curé, soit devant le juge, celui-ci devait déclarer les comparants unis. Pour tous les mariages contractés hors de l’Église antérieurement à l’édit, une déclaration semblable suffisait pour qu’ils produisissent tous leurs effets civils.

Cet édit réparateur fut cependant vivement attaqué : au Parlement de Paris ; le conseiller d’Epréminil, conjurant ses collègues de ne point l’enregistrer, s’écriait, en leur montrant d’image du Christ : « Voulez-vous le crucifier une seconde fois ? »

Dans un mandement, l’évêque de la Rochelle le qualifiait ainsi : « Cette loi qui semble confondre et associer toutes les religions et toutes les sectes… cette loi, sur laquelle nous ne saurions vous peindre notre douleur et notre peine, en voyant l’erreur prête à s’asseoir à côté de la vérité. »

On trouve encore en 1789, dans les cahiers du clergé, une protestation du clergé de Saintes, contre cet édit, permettant aux parents de constater sous une forme purement civile la naissance de leurs enfants, « ce qui expose, dit-on, les enfants même nés catholiques à ne pas être baptisés ».

Pour l’Église, en effet, c’est porter atteinte à ses droits, que d’accorder, sans son entremise, un état civil aux non-catholiques. Le Girondin Barbaroux, au contraire, estime qu’il est essentiel de donner ; même avec l’intervention de l’Église, un état civil à son fils, il le fait baptiser et dit : « Le baptême n’est rien aux yeux du philosophe, mais la cérémonie, quelle qu’elle soit, par laquelle on transmet son nom à son fils, est bien intéressante pour un père. »

L’évêque de la Rochelle, s’insurgeant contre la loi, défend même aux prêtres de son diocèse, de faire une distinction entre leur qualité d’officiers d’état civil et leurs fonctions de ministres de la religion catholique et leur dit : « Comment pourriez-vous déclarer, même au nom de la loi, légitime et indissoluble, une union contractée contre les règles et les ordonnances de l’Église ? Ne craignez point de déclarer à ceux qui se présenteront devant vous, que votre ministère est spécialement et même uniquement réservé aux fidèles. »

Cette injonction faite par un évêque aux curés de son diocèse, était la démonstration péremptoire que l’on ne pouvait laisser au clergé catholique la moindre part dans la tenue des registres de l’état civil. Ce n’est cependant qu’en 1792 que la loi décida que les officiers de l’état civil n’auraient plus aucun caractère religieux, conformément aux principes ainsi posés par la constitution de 1791 : « La loi ne considère le mariage que comme un contrat Civil. Le pouvoir législatif établira pour tous les habitants, sans distinction, le mode par lequel les naissances, les mariages et les décès seront constatés, et il désignera les officiers publics qui recevront et conserveront ces actes. »

Le mandement lancé par l’évêque de la Rochelle contre l’édit qui se bornait, ainsi que le déclarait Louis XVI, à donner dans Son royaume un état civil à ceux qui ne professent point la vraie religion, fut déféré au conseil du roi et condamné à être supprimé sur ces sévères conclusions du procureur du roi :« C’est en abusant des droits du sanctuaire, c’est en profanant la mission apostolique, qu’un évêque, en discutant une loi qu’il ne doit que respecter, ose exciter dans son diocèse la résistance à un édit à jamais mémorable… La discipline de l’Église et l’instruction des fidèles imposent aux évêques le devoir de publier des mandements, mais ce devoir doit se circonscrire dans les limites de la police ecclésiastique. Quand le zèle des prélats, dans des cas très rares, s’étend jusqu’aux lois civiles, ce ne doit être, suivant l’esprit du christianisme, que pour en recommander l’exécution. »

Les évêques de nos jours, quand ils parlent des lois civiles dans leurs mandements, n’oublient-ils pas aussi trop souvent qu’ils ne devraient le faire que pour recommander l’exécution de la loi ?

Je ne parle pas bien entendu de l’évêque député qui, à la tribune, a déclaré que si la loi, retirant aux fabriques pour le donner aux communes, le monopole, et par conséquent le bénéfice des inhumations, était votée par les chambres, il jurait de ne pas lui obéir. M. Freppel peut impunément oublier à la tribune de la chambre ce que l’esprit du christianisme lui commande de faire, comme évêque ; mais si, dans un mandement, il reproduisait l’emprunt oratoire qu’il a fait à Mirabeau, le gouvernement de la république, bien que plus patient que celui de Louis XVI serait bien obligé de lui rappeler que le rôle d’un évêque n’est pas de prêcher la désobéissance à la loi.

Dans le projet d’édit qui avait été soumis à Louis XVI, il y avait une clause permettant aux pasteurs de jouir de tous leurs droits civils comme les autres protestants ; lors de la publication de l’édit, cette clause avait disparu, comme entraînant, en fait, l’abolition de peines qu’on ne pouvait plus cependant appliquer, mais dont on ne pouvait pas se retirer la faculté d’user en des circonstances plus favorables.

Après 1787, comme avant, les pasteurs restèrent donc légalement passibles du gibet, à raison de l’exercice de leur ministère, et ceux qui allaient les entendre pouvaient toujours être condamnés aux galères.

Louis XVI, en sa qualité de roi très chrétien, n’avait pas pu aller jusqu’à mettre sur le même pied toutes les religions, la vérité et l’erreur. Il n’avait même pas, comme Henri IV, décidé que le culte public des protestants serait toléré à côté de celui de la religion maîtresse et dominante.

Il disait, en effet, dans le préambule de l’édit donnant un état civil aux protestants : « Que s’il n’était pas en son pouvoir d’empêcher qu’il n’y eût différentes sectes dans ses États, il avait pris les mesures les plus efficaces pour prévenir de funestes associations, et pour que la religion catholique qu’il avait le bonheur de professer, jouit seule dans son royaume des droits et des honneurs du culte public. »

La révolution seule pouvait proclamer et appliquer les vrais principes, déclarer que toutes opinions philosophiques et religieuses étaient égales devant la loi, et décréter que toutes les religions jouissaient des droits et des honneurs du culte public.

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