Cette unité et cette puissance de la vie nationale ne pouvaient être suscitées, à travers la dispersion du pouvoir politique, par la force des intérêts économiques, par l’action unifiante d’une classe homogène et hardie. La bourgeoisie allemande, en cette fin du XVIIIe siècle, existait à peine ; ou du moins elle n’avait pas cette confiance en soi que donnent la croissance de la richesse et l’essor des entreprises.
En France, sur un terrain politique déjà presque uni, une bourgeoisie tous les jours plus riche et plus audacieuse avait pu soudain développer son action. Pour que la bourgeoisie allemande pût abaisser les barrières politiques qui partout brisaient son élan et emprisonnaient sa volonté, il lui aurait fallu une impulsion économique formidable ; or, la puissance de production de l’Allemagne, presque mortellement atteinte par la guerre de Trente ans, était restée depuis cent vingt ans ou stationnaire ou languissante, ou médiocrement progressive, quand elle ne rétrogradait pas. La bourgeoisie était donc aussi languissante et débile, de peu d’initiative sociale et de peu de vigueur. C’est le fait décisif constaté le plus souvent avec exagération par tous ceux qui ont cherché à pénétrer le secret de l’histoire allemande.
J.-J ROUSSEAU, ADOLESCENT (D’après un tableau du Musée des Charmettes)