Quel déclin économique dans cette bourgeoisie des grandes cités marchandes, si audacieuses au XVIe siècle et si orgueilleuses, au moins de quelques-unes d’entre elles ! Je traduis, du substantiel ouvrage de M. Biedermann sur l’Allemagne au XVIIIe siècle, la rapide esquisse de cette décadence. « Les villes de la Haute Allemagne, si riches autrefois et si puissantes, Augsbourg, Nuremberg, Ulm, Ratisbonne, n’étaient guère plus qu’une ombre de leur ancienne splendeur. La fière Augsbourg, la ville des Fugger, ces marchands princiers, dont Charles-Quint disait orgueilleusement qu’ils pourraient acheter en pur argent tout le trésor royal de Paris, conservait péniblement un reste de son ancien commerce si vaste ; elle était encore un centre d’échanges, mais seulement entre l’Autriche, la Suisse, la Souabe et le nord de l’Italie ; elle ne développait plus la vaste sphère commerciale où se rencontraient les marchandises de l’Orient, des Flandres, de l’Angleterre et de la Scandinavie. Son négoce vers le Sud-Est était contrarié par les mesures prohibitives de l’Autriche, celui vers le Nord-Ouest par celles de la Hollande. Son art, jadis l’orgueil de l’Allemagne, sombrait de plus en plus et se rapetissait en un mince commerce de statuettes coloriées et d’amulettes. Ses orfèvres et ses joailliers qui avaient travaillé au XVIIe siècle pour le czar de Russie et le roi de France, étaient tombés comme les travailleurs sur bois dans le plus mauvais goût et ils étaient de beaucoup dépassés par l’art français. Le tissage d’Augsbourg, si florissant naguère, avait été comme anéanti par la guerre de Trente ans. De six mille tisserands il n’en restait que cinq cents.
« Pour Nuremberg aussi, les temps brillants de la richesse et de l’art universellement glorieux, du bien-être libéral et distingue étaient passés ; ces temps où l’envoyé du pape Œnas Sylvius écrivait : « Les rois d’Écosse seraient bien heureux d’avoir des demeures comme ces moyens bourgeois de Nuremberg... » Maintenant, stagnation, décadence ; c’est à peine si la ville retenait un peu de son art d’autrefois pour le travail des jouets, pour la ciselure du bois, du métal...
« Plus profonde encore était la chute d’Ulm et de Ratisbonne... Et la situation des villes du Rhin si prospère autrefois, n’était pas meilleure. Cologne, la métropole du Rhin, est tombée dans la crasse et dans la misère... Aix-la-Chapelle aussi, la vieille ville impériale, est gisante. Des cent mille habitants, qu’elle abritait jadis dans ses murs, il en reste à peine un quart. »
Est-ce à dire que toute activité industrielle ait disparu de l’Allemagne ? Non certes ; s’il est des villes qui déclinent, d’autres grandissent ou se maintiennent. A Francfort-sur-le-Mein des opérations de banque solidement assises sur des traditions de prudence et d’habileté renouvelaient la richesse de la haute bourgeoisie. Mayence, au témoignage de Forster, contrastait par son activité, sa propreté, avec la paresseuse et pauvre Cologne. Les villes de la Hanse, si elles avaient perdu leur suprématie commerciale et politique, maintenaient cependant leur chiffre d’affaires à force d’ingéniosité et d’audace. Leurs capitaux accumulés leur permettaient de commanditer au loin des entreprises, de participer aux sociétés par actions qui commençaient à se fonder pour l’exploitation des colonies, pour les assurances de tout ordre et aussi de devenir créancières de tous les États de l’Europe. C’est ainsi que Hambourg avait mainte fois souscrit, comme la Hollande, aux emprunts de la monarchie française. Son port avait un mouvement annuel (entrées et sorties) de 2.000 navires dont 160 étaient sa propriété. Les sociétés d’assurances maritimes y couvraient un capital de 60 à 120 millions de thalers. L’indépendance des colonies anglaises d’Amérique servit les intérêts de Hambourg, en supprimant le lien de commerce exclusif que l’Angleterre avait prétendu leur imposer.