L’ERREUR DES RÉVOLUTIONNAIRES FRANÇAIS

Robespierre aussi se tait. Lui qui, au commencement de 1792, avait si courageusement lutté contre la politique de guerre et dénoncé les illusions, lui qui avait rappelé que la Révolution française n’avait pu se produire que parce que, à l’origine, les classes possédantes et éclairées y participèrent, lui qui avait dit que le peuple seul était impuissant ; avec quelle force il eût pu établir qu’il n’y avait aucune chance d’entraîner dans un mouvement de révolution cette Angleterre où les classes privilégiées, bien loin d’aider les « basses classes » pour une œuvre de liberté et de progrès, étaient soutenues par les « basses classes » pour une œuvre de conservation et de privilège ! Lui qui redoutait si justement que des longues guerres, indéfiniment continuées, sortît enfin le despotisme militaire, de quels accents prophétiques il aurait pu annoncer l’épuisement prochain de la France révolutionnaire surmenée par une lutte disproportionnée contre le monde ! Une chance s’offrait de limiter cette lutte, c’était de maintenir la paix avec l’Angleterre. L’effort commun et presque désespéré de tous les partis révolutionnaire saurait dû être de sauver cette chance unique de paix et de liberté. Pourquoi ne le firent-ils pas ? Pourquoi n’eurent-ils qu’une politique inconsistante et contradictoire, faite tour à tour de provocations et de concessions ? C’est peut-être parce qu’une double griserie commençait à envahir la France : griserie de liberté expansive, griserie de gloire militaire. C’est surtout parce que tous les partis, tous les individus étaient absorbés par des luttes fratricides, parce qu’ils craignaient, qu’une démarche de sagesse, de modération et de bon sens fût interprétée par la faction rivale comme une sorte de trahison.

Ils se haïssaient les uns les autres, ils se calomniaient les uns les autres, ils avaient peur les uns des autres et ils ne pouvaient pratiquer, dans cet isolement, dans cette défiance, une politique qui ne pouvait réussir que par l’accord de tous. L’Europe n’aurait pas vu un signe de faiblesse dans une politique de paix et de prudence que la Révolution aurait adoptée, pour ainsi dire, d’un seul front et d’un seul cœur.

Mais quoi ! Robespierre calomniait la Gironde et prétendait qu’elle avait voulu livrer la France à Brunswick ; la Gironde calomniait Robespierre, elle l’accusait de prétendre à la dictature et elle ramassait contre lui d’ignominieux papiers de police. Mme Roland et Buzot détestaient Danton qui aurait pu couvrir de sa magnifique audace une politique de prudence et de transaction. Danton, absorbé jusqu’au 15 janvier par sa mission en Belgique, et d’ailleurs traité en suspect par la Gironde, ne pouvait pas créer un grand mouvement pacifique ; et Roland envenimait toutes les querelles des radotages de sa bonhomie fielleuse et apeurée. Cette lourde nuée de haines tourbillonnait, cachait à tous l’horizon. Pendant qu’ils se déchiraient, ils laissaient se préparer la guerre entre l’Angleterre et la France, c’est-à-dire une des plus grandes catastrophes de l’histoire universelle. Sans doute, plus d’un Conventionnel commençait à avoir conscience du péril, mais peu le voyaient distinctement et plus rares encore, ceux qui osaient l’avouer.

Share on Twitter Share on Facebook