FICHTE DÉFENSEUR DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

C’est pour avertir l’Allemagne, pour la faire profiter de l’expérience de la France et ouvrir les voies au progrès pacifique, que Fichte, en 1793, publie un livre admirable : Rectification des jugements du public sur la Révolution française.

« La Révolution française me paraît importante pour toute l’humanité. Je ne parle pas des suites politiques qu’elle a eues pour tous les pays, aussi bien que pour les États voisins, et qu’elle n’aurait pas eues sans une intervention injustifiée et sans la plus frivole confiance de ces États en eux-mêmes. Tout cela est beaucoup, mais c’est bien peu en regard d’un autre objet bien plus important.

Aussi longtemps que les hommes ne sont pas plus sages et plus justes, tous leurs efforts pour devenir heureux sont vains. Echappés de la geôle des despotes, avec les débris de leurs chaînes brisées ils se tuent les uns les autres. Il serait trop triste que leur propre souffrance, ou bien, s’ils se laissent avertir à temps, la souffrance des autres ne les conduise pas à plus de sagesse et de justice. Ainsi tous les événements du monde ne m’apparaissent que comme d’instructives peintures que développe la grande éducatrice de l’humanité. La Révolution française est un riche tableau sur ce thème : les Droits de l’Homme et la dignité humaine.

« Le but de cette tragique peinture n’est pas que quelques privilégiés seulement apprennent et s’éduquent. La doctrine des devoirs, du droit et de la destinée de l’homme n’est pas un joujou d’école : le temps doit venir où nos gardiennes d’enfants apprendront les devoirs et les droits de l’humanité aux êtres jeunes qui balbutient à peine, où les premiers mots prononcés seront ceux-là ; où cette seule parole :Ceci est injuste », sera la verge du châtiment... »

Mais, pour que cette profonde et universelle éducation de justice soit possible, il ne faut pas attendre que le soulèvement des passion sait rendu l’esprit incapable de se gouverner lui-même. « Est-ce parmi le sang et les cadavres que nous ferons des conférences sur la justice à des esclaves ensauvagés ? » Non, non, tant que l’Allemagne est calme encore, tant que le flot qui monte n’a pas débordé, hâtons-nous de faire entrer dans la conscience la notion du droit. Il ne s’agit pas d’appliquer aux constitutions actuelles de l’Allemagne la mesure rigide et brutale du droit absolu. Il ne s’agit pas de provoquer un soulèvement violent.

« Non : ce que nous devons, c’est tout d’abord acquérir la connaissance et l’amour de la justice et les répandre autour de nous, aussi loin que s’étend notre cercle d’action. C’est par un effort intérieur, c’est par un mouvement de bas en haut que les hommes se rendent dignes de la liberté. Mais c’est d’en haut que viendra la libération elle-même. »

Ainsi Fichte n’attend le salut et l’universelle délivrance ni d’un artifice d’autorité, ni d’un mouvement de violence. Il compte sur l’éducation intérieure des consciences.

C’est par la collaboration des consciences éduquées et des princes habitués à respecter de plus en plus une liberté toujours plus fière d’elle-même que la nécessaire et calme transformation s’accomplira. Mais s’il répugne aux mouvements de démocratie tumultueuse, s’il reste fidèle, même au plus aigu de la crise européenne, à la méthode d’évolution et de transaction qui est l’âme même de la pensée allemande, il va droit au problème ; et, sans ménagement, sans réticence, il dénonce l’injustice de tous les privilèges du monde féodal et clérical. C’est l’absolutisme monarchique qu’il condamne. « Là où la liberté de la pensée est entière, la monarchie absolue ne peut exister. » Mais surtout c’est la propriété nobiliaire, féodale et ecclésiastique qu’il dissout par une analyse d’une force et d’une précision extrêmes. Visiblement, toutes les grandes mesures d’expropriation de la Révolution française sont présentes à sa pensée. Il commence par répudier toute loi agraire. « Tout homme a originairement un droit d’appropriation sur toute la terre. Mais on ne pourrait déduire de là que tout homme a droit à une part égale du sol et que la terre doit être divisée entre eux par portions égales, comme le prétendent quelques écrivains français, que si l’on confond le droit d’appropriation avec le droit de propriété. Mais, lorsque l’homme, s’étant approprié une partie de la nature, en a fait, au moyen de travaux, sa propriété, il est clair que celui qui travaille davantage peut posséder davantage et que celui qui ne travaille pas ne possède rien légitimement. »

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