L’AFFAIRE DE CHATEAUVIEUX

Le coup le plus rude pour l’aristocratie des cantons fut la « mutinerie » des soldats suisses du régiment de Châteauvieux à Nancy. C’était comme un signal d’émeute donné par ceux-là mêmes qui étaient, par destination et par contrat, les défenseurs du « pouvoir légitime ». C’était le vieux renom de « fidélité » de la Suisse compromis. C’était aussi la lucrative industrie militaire menacée. Tous les cantons s’émurent, les petits et les grands, Unterwald comme Berne, devant ce désastre national. D’emblée, des sanctions rigoureuses furent décidées. Les magistrats de Berne, notamment, écrivent le 19 août 1790 « aux louables cantons » de la Confédération :

« Nous regardons l’insurrection, qui a éclaté dans le régiment suisse de Châteauvieux, en garnison à Nancy, comme un événement de la plus haute importance. Cela nous a déterminés à défendre, dès ce moment, à tous et à chacun des bas officiers et soldats l’entrée de notre territoire et de statuer contre nos ressortissants, s’il s’en trouve parmi les révoltés, et d’en user à leur égard avec la plus grande sévérité, et même par la privation de leurs privilèges et droits de bourgeoisie. Nous ne doutons pas que tous les cantons helvétiques n’embrassent avec nous ce moyen de sauver l’honneur de la Nation. »

Un an plus tard, quand, à l’occasion de l’acceptation par le roi de la Constitution de 1791, l’Assemblée nationale de France vota l’amnistie, elle exprima le vœu que les soldats condamnés en Suisse fussent compris dans cette amnistie. Le roi transmit le vœu, mais les cantons refusèrent, soit qu’ils aient cru flatter ainsi le vœu secret du roi, soit qu’en effet ils n’aient pu pardonner aux soldats qui venaient de porter une si rude atteinte aux traditions de passivité militaire qui avaient fait jusque-là la fortune et « l’honneur » de la Nation.

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