LA RÉVOLUTION A GENÈVE

Les exilés, du Roveray, Clavière et d’autres, devenus les amis de Mirabeau, qui suivait avec passion tous les mouvements de liberté de l’Europe, tous les nobles efforts de l’esprit humain, formèrent à Paris une petite colonie ardente ; mais, de 1782 à 1788, la réaction resta maîtresse de Genève. C’est d’abord par l’extrême cherté du pain qu’à Genève comme en France, fut provoquée d’abord l’agitation en 1789. L’hiver avait été très rude. Le Rhône et le lac étaient gelés, le blé était rare, le pain horriblement cher ; le peuple se souleva pour le ramener à quatre sous la livre et, dans son mouvement, il brisa les entraves de la Constitution de 1782.

Les magistrats proposèrent et le peuple ratifia en février 1789, par 1321 suffrages contre 52, un édit qui rappelait les proscrits, rétablissait l’ancienne milice bourgeoise, réduisait les impôts, admettait au droit de bourgeoisie les natifs de quatrième ou cinquième génération et reconnaissait en principe que les membres du Petit Conseil devaient être élus par le peuple. Mais l’application de ce principe était ajournée à dix ans. C’était néanmoins la voie de l’avenir ouverte à la démocratie. Le peuple témoigna sa joie par de grandes fêtes.

Au même moment, un souffle de liberté et de Révolution venait de France. La puissante agitation libérale du Dauphiné et de ses États avait de puissants échos à Genève. Entre Genève et Grenoble il y avait d’incessantes communications. C’est une manufacture de toiles peintes établie à Genève, sur le Rhône, tout près du lac, là où est aujourd’hui l’hôtel de Bergues, qui suggéra à un des Périer l’idée d’établir une manufacture analogue à Vizille, et un des Fazy, un des membres de la famille dont sortira le grand démocrate genevois James Fazy, avait été emmené comme employé à la nouvelle usine de Vizille. Il y était en 1789 et il assista aux fêtes données par les Périer aux États du Dauphiné. C’est à Genève que résidait souvent à cette époque (il y avait sans doute une maison d’été) le procureur royal près la Cour de Grenoble. Il y était au moment où il entendit Mounier en témoignage sur les événements des 5 et 6 octobre et c’est aux archives de Genève que j’ai trouvé le texte de sa déposition.

« Je n’ai pas été témoin oculaire des assassinats commis à Versailles. M. de Mirabeau vint se placer derrière moi et me dit : Monsieur le Président, quarante mille hommes arrivent en armes de Paris ; pressez la délibération, levez la séance, dites que vous allez chez le roi. » J’observe que celui qui me parlait ainsi était M. de Mirabeau. Etonné, je réponds : « Je ne presse jamais les délibérations ; je trouve qu’on ne les presse que trop souvent. » M. de Mirabeau répondit : « Mais, Monsieur, ces quarante mille hommes ! » Il est inutile de rendre compte de ma réplique. »

O le pauvre esprit, méfiant, susceptible et borné ! Ce « je ne presse jamais les délibérations » est d’un héroïsme prudhommesque et sot.

Sous l’influence de la Révolution française, le mouvement démocratique s’accélérait à Genève. Les bourgeois de la ville demandent une Constitution populaire, l’application immédiate au Petit Conseil du principe de l’élection par le peuple qui avait été remis à dix ans. Les habitants de la campagne entrent dans l’action, et, le 15 août et le 18 décembre 1790, ils adressent aux « Magnifiques Seigneuries » de Genève une pétition pour l’égalité civile et politique. Ils y demandent la suppression complète du régime féodal.

Ce n’est plus seulement, comme dans l’édit de 1781, dans le domaine de l’État, c’est dans tous les fiefs des particuliers qu’ils réclament l’abolition sans indemnité de toute taillabilité personnelle et le rachat « à un prix modique » des cens. De plus, ils demandent que les dîmes soient abolies et que ce soit le Trésor public qui en assure le remboursement. En outre, les lods et ventes, c’est-à-dire les droits de mutation, seraient fixés dans les fiefs des particuliers à 12 p. 100 comme dans les fiefs appartenant à la Seigneurie. Ils demandent en même temps un système militaire moins onéreux et qui les astreigne moins souvent au service en ville ; l’organisation populaire de la justice par des arbitres élus au suffrage universel ; l’extension à tous les habitants du droit de suffrage. Ils protestent contre le privilège fiscal dont jouissent les bourgeois riches de la ville. L’impôt était calculé sur le revenu ; les maisons de plaisance de la bourgeoisie n’étant pas productives de revenus échappaient à l’impôt, tandis que le champ du laboureur était surchargé. (Archives de Genève.)

C’était, comme on voit, toute une revendication vaste et précise. C’était la fin du régime féodal et l’organisation d’une démocratie égalitaire. Dans les autres cantons, plus lents que celui de Genève à s’émouvoir dans le sens démocratique, l’aristocratie restait puissante. Mais tous les pouvoirs oligarchiques étaient pris d’inquiétude.

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