Entre les formes variées sous lesquelles le luxe se manifeste aujourd’hui, il faut compter le luxe des cheveux pour les femmes.
On a souvent parlé de l’influence, de la puissance de la mode ; on n’en a pas assez dit. – Voyez les portraits qui nous restent du temps de Louis XV. – La mode voulait alors qu’on eût le nez retroussé. Eh bien, les femmes trouvaient le moyen d’avoir le nez retroussé. Aujourd’hui, on a imaginé une coiffure qui exige deux mètres de cheveux. – Tout le monde a deux mètres de cheveux. – Cette coiffure, appelée, je crois, « à la Cérès, » et qui consiste à se faire une couronne de ses cheveux nattés au-dessus du front, a de la noblesse ; on la retrouve dans beaucoup d’anciens tableaux de l’école italienne du musée du Louvre : c’est là, sans doute, que l’aura prise madame Lef. D., qui est artiste, et qui l’a constamment portée depuis dix ans, avant que ce ne fût la mode.
Non-seulement cette coiffure exige des cheveux longs, et surtout abondants, mais encore il faut les laisser pousser à ce point de vue. Ce n’est pas sans étonnement que l’on voit des femmes, qui avaient à peine, la semaine dernière, assez de cheveux pour la plus humble coiffure, en avoir suffisamment aujourd’hui pour cette coiffure luxuriante. Aussi je tiens d’un coiffeur célèbre, que certaines femmes, une fois lancées, voulant réunir sur leur seule tête toutes les diverses magnificences que se permettent séparément les maîtresses de quelques proverbiales crinières, et pensant que les cheveux sont comme le galon, que l’on n’en saurait trop prendre quand on en prend, portent à la fois jusqu’à sept petites perruques, – c’est-à-dire sept pièces de cheveux postiches.
Ainsi, aujourd’hui, si vous rencontrez dans un salon une femme dont la coiffure simple et modeste vous paraisse relativement un peu indigente, soyez sûr que c’est une femme qui a une très-grande abondance de très-beaux cheveux, et qu’elle en a, sans aucun doute, beaucoup plus que celles qui en montrent tant. – En effet, une femme, qui a une très-belle chevelure, peut seule refuser de la déshonorer en y mêlant de faux cheveux et des nattes de contrebande.
Il en est de même pour un autre mensonge : en ce temps-ci, beaucoup de gens se sont octroyé libéralement à eux-mêmes des titres magnifiques ; –les cartes du premier jour de l’an nous ont révélé, cette année, une foule de gentilshommes de notre connaissance qui, pendant vingt ans, avaient modestement voilé leur écusson. Je ne savais pas, pour mon compte, connaître autant de marquises et de vicomtesses. – Eh bien, quand on annonce un homme comme baron, il y a gros à parier que c’est un vrai baron ; les gens qui se donnent les titres à eux-mêmes ne daignant pas prendre celui-là.
Ainsi des cheveux : – les femmes qui en montrent le moins sont celles qui en ont le plus.
À propos de cheveux – non, je me trompe, je veux dire à propos de vicomtes – en tous cas, à propos de postiches, le feu roi Louis-Philippe, fort pressé par un de ses soi-disant fidèles serviteurs de donner à son fils un titre sans lequel il ne pouvait prétendre à un riche mariage, opposait au solliciteur tout ce qu’on peut dire contre ces parchemins de complaisance ; mais comme l’autre insistait : « Mon cher monsieur, dit le roi, je vous ai dit que je ne pouvais ni ne voulais donner à votre fils le titre que vous me demandez pour lui ; mais, entre nous, je ne vois pas bien ce qui l’empêcherait de le prendre. »
Beaucoup de femmes ne s’aperçoivent pas d’une chose, c’est qu’au milieu des splendides toilettes une riche et noble simplicité a toujours beaucoup de succès. – Supposez un salon où toutes les femmes auraient la tête chargée et constellée de pierreries ; – qu’une seule arrive avec ses cheveux sans ornements, – je suppose de beaux cheveux, – eh bien, le triomphe sera pour la dernière venue. – Et comme dit le poëte :
Signe orgueilleux de grandeur souveraine,
Rouge turban plissé sur la tête des rois,
Non, tu n’as pas l’éclat de ces tresses d’ébène
Qui couronnent son front, et que nattent mes doigts
C’est un grand avantage pour une femme que d’être autre.
Une robe unie, noire ou blanche, fera toujours beaucoup plus d’effet dans un salon où toutes les autres sont splendidement ornées ; cela sert de cadre, et l’on s’aperçoit assez mélancoliquement parfois qu’on s’est couverte, à grands frais, de somptuosités qui relèvent la beauté d’une rivale ; en un mot, qu’on a mis une robe qui va bien… aux autres.