XVII. Sur la mode. – Les femmes et les singes. – La décence doit être toujours à la mode

Nous jugeons très-bien du ridicule d’une mode ancienne, parce que nous ne la voyons que dans des images, parce que la femme qui remplissait cette jupe est morte, parce que le visage qu’encadrait ce chapeau est fané, etc. – Mais une mode actuelle nous abuse facilement parce qu’elle porte dans ses plis de quoi corrompre les juges. – Quand on parcourt un recueil de modes oubliées et que l’on rit de pitié en les regardant, on se dit : « Comment a-t-on pu se fagoter ainsi ? » – Puis on ajoute : « Aujourd’hui les modes sont bien plus raisonnables, – les femmes s’habillent beaucoup mieux, » etc.

Mais on ne pense pas que jamais, à aucune époque, une femme à sa toilette n’a songé qu’elle se fagotait ; elle a toujours pensé qu’elle augmentait ses charmes par ses affublements, quels qu’ils fussent. – Vous riez d’une jupe ou d’un chapeau ridicules, quand vous les voyez dans des recueils d’images ; – il est facile aussi de rire de la cuirasse creuse et du casque vide d’un de ces brigands de héros auxquels les hommes, se rendant justice, témoignent tant de reconnaissance pour le mal qu’ils en ont reçu. Mais, si sous cette visière vous voyiez tout à coup briller les yeux du guerrier, si sous ce chapeau reparaissait un frais visage, et des yeux de velours, si sous cette jupe se dessinaient des formes vivantes, votre bravoure et votre gaieté s’effaceraient bien vite, et vous vous humilieriez devant ce sujet de vos audacieux quolibets.

Si une seule femme s’habillait ridiculement, elle pourrait être négligée ; mais, comme toutes les femmes s’empressent de suivre une mode, quelle qu’elle soit, il faut bien les aimer comme elles sont : le charme de leur personne se répand sur les artifices dont elles dénaturent leur beauté en croyant l’accroître, et on confond le tout dans les sensations qu’on éprouve. Vous aimez les noix et les châtaignes : – certes, le brou qui entoure la noix, écorce qui tache les doigts et a, au goût, une insupportable amertume, – certes, l’involucre couvert d’aiguillons qui fait ressembler la châtaigne à un petit hérisson vert, ne flattent beaucoup ni les yeux ni le goût ; mais, en les ramassant sous l’arbre, vous ne pensez qu’au fruit que renferment ces apparences peu prévenantes, et vous sentez votre appétit s’éveiller à leur aspect. Si les noix et les châtaignes s’avisaient de paraître à nos yeux avec d’autres formes encore et sous des enveloppes plus désagréables, cela ne nous empêcherait pas, en les trouvant, de dire : « L’excellent fruit ! » et de les ramasser.

Il faut un grand effort de bon sens pour apprécier équitablement la parure des femmes, et encore est-il prudent de procéder à ce jugement dans des moments choisis, – c’est-à-dire en regardant une femme vieille, laide et méchante, par exemple.

On fait jeter les hauts cris aux femmes en se permettant quelques observations sur la mode du moment. – J’ai cependant eu raison des gilets. Mais Dieu sait à quelles avanies publiques et particulières j’ai dû me résigner ! Aussi est-ce après quelques hésitations que je m’expose aujourd’hui à de nouvelles malveillances, en risquant de nouvelles observations qui tombent, cette fois, sur les jupes et sur les volants. – J’ai regardé pendant une demi-heure une assez laide et hargneuse personne, pour me bien convaincre moi-même, – car, lorsque l’on a l’imprudence de faire ses observations sur une jupe un peu bien habitée, il suffit du mouvement ou de l’ondulation d’un pli pour troubler la tête du juge et entacher sa décision de partialité. – Profitons donc d’un moment de hardiesse facile pour dire la vérité.

Les vastes dimensions des jupes, – quand cela ne va pas jusqu’à donner aux femmes la figure d’une sonnette, – quand elles forment des plis tombants et fluides, ne manquent pas d’une certaine noblesse gracieuse ; mais il faudrait que mesdames les couturières voulussent bien diminuer cette ampleur au-dessous de la taille, au lieu de froncer laborieusement une quantité d’étoffe excessive qui, devenue ainsi roide et compacte à l’œil, n’a plus l’air d’un vêtement ample, mais d’un fourreau qui accuserait des formes exagérées et hors de proportion avec la partie supérieure du corps. – De plus, le vêtement, au lieu de suivre les belles ondulations et les courbes gracieuses du corps féminin, change complètement les formes et les dénature. – Si une femme de goût, en se déshabillant le soir, se trouvait faite en réalité comme, elle a fait semblant de l’être toute la journée, j’aime à croire qu’on la trouverait le lendemain matin submergée et noyée dans ses larmes. La largeur des hanches est une forme naturelle à la femme, et, à ce titre surtout, et à quelques autres, d’un aspect fort agréable ; mais pourquoi ajouter d’autres ampleurs assez mal placées, de l’invention des couturières ?

Outre cette forme factice, il est encore dans la forme actuelle des jupes un inconvénient plus grave à signaler : les rangées de volants. – Ces haillons ajoutés aux robes, par suite d’une mode inventée par des parvenus qui remplacent le beau par du cher ; ces rangées de volants descendant depuis la ceinture jusqu’au bas de la jupe, doivent, à ce qu’il paraît, pour être corrects, être bouffants et non froissés. – Or, il n’y a pas moyen de porter des volants depuis la ceinture jusqu’en bas, sans s’asseoir dessus. – Il n’y a pas moyen non plus de s’asseoir sur des morceaux d’étoffes flottants sans les friper ; de sorte que les femmes, dans le monde, passent une partie de la soirée à essayer sans succès de ne pas avoir des volants chiffonnés.

Ces efforts, vains et pénibles, amènent deux résultats :

Ils sont vains : par conséquent, les femmes portent derrière elles deux ou trois rangs de chiffons froissés.

Ils sont pénibles : par conséquent, toute femme assise qui se lève pour se rapprocher d’une amie, ou d’une table à thé, ou d’un piano, ou pour danser, commence par rajuster les trois rangs de volants sur lesquels elle était assise, – avec un geste qui rappelle celui d’un singe se grattant. Certes, cela n’est ni gracieux ni élégant ; mais, de plus, il est difficile de rien imaginer de plus indécent que ce geste, qu’une femme renouvelle une vingtaine de fois par soirée. Sans compter que cette préoccupation perpétuelle et inflexible des trois volants sur lesquels on s’assied, et d’une exhibition correcte de leur croupe, ôte aux femmes beaucoup d’abandon et beaucoup de liberté d’esprit.

Il faut avant tout être jolie, gracieuse et décente, dût-on exhiber pour vingt francs de soie de moins autour de sa jupe.

Minerve, – la sage déesse, – le savait bien, elle qui, ayant inventé la flûte, et voyant tous les dieux ravis des sons qu’elle tirait de cet instrument, aperçut ses joues gonflées disgracieusement, et jeta sur la terre sa flûte, qui fut ramassée par Dorus. Minerve restait femme précisément parce qu’elle était sage, et, tout en l’emportant sur les autres déesses par l’intelligence, elle ne prétendait le céder à aucune sur le chapitre de la beauté, – ce qui la poussa à accepter la décision de Pâris, jugeant – sans volants.

Ô perspicace déesse ! qui, naissant de la tête du maître des dieux pour représenter le bon sens sur la terre, – devina d’avance qu’elle serait traitée en ennemi public, et n’osa sortir du cerveau paternel que cuirassée et armée de toutes pièces.

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