Lorsque j’ai vu les femmes s’affubler de gilets de piqué blanc, y ajouter successivement nos cols de chemise empesés, des cravates noires, puis la montre dans la poche du gilet ; – en un mot, chercher à imiter les hommes dans leur costume, j’ai jeté une grande clameur, – et j’ai prédit aux femmes que les hommes ne tarderaient pas à usurper à leur tour leurs brillants colifichets. J’ai eu raison des gilets : ce que les femmes appellent gilets aujourd’hui est tout simplement une forme particulière de corsage, et ne rappelle en rien les gilets des hommes. – Mais les temps prédits sont arrivés, les hommes veulent devenir à leur tour le beau sexe, ou du moins le sexe paré, et ils accrochent, sous divers prétextes, en divers endroits de leur personne, tout ce qu’autrefois ils donnaient aux femmes ; ils mettent des pierreries à leurs gilets en guise de boutons, et d’autres pierreries à leurs manchettes. Ils étalent sur leur poitrine des chemises ornées de plis capricieux et maniérés, avec des entre deux, c’est comme cela que ça s’appelle, je crois, en dentelles et en broderies ; ils séparent leurs cheveux sur le sommet de la tête par une raie correcte et régulière, et se coiffent virginalement en bandeaux ; ils ont des mouchoirs brodés qu’ils portent à la main, et sont tout ruisselants de chaînes et tout étincelants de diamants. – Cette leçon profitera-t-elle aux femmes ; et, une autre fois, voudront-elles me croire lorsque je leur donnerai des avis salutaires ?…
En général, on est peu d’accord sur la beauté : le plus grand nombre la fait consister dans certaines proportions et dans une régularité convenues ; d’autres reconnaissent seulement la beauté à l’influence qu’elle exerce et à l’impression qu’ils en reçoivent. Je crois que ceux-ci ont raison. Entre la beauté qui se prouve et la beauté qui s’éprouve, le choix ne saurait être ni bien long ni bien douteux.
Vous ne persuaderez jamais aux femmes, par exemple, qu’on peut avoir la taille trop mince, les yeux trop grands, la bouche ou les pieds trop petits. Si elles pouvaient se modifier elles-mêmes, elles marcheraient sur des moignons, elles ne pourraient se nourrir qu’au moyen d’un chalumeau, et leurs yeux se rejoindraient derrière leur tête ; quelques-unes feraient l’œil gauche si grand, qu’il ne resterait pas de place sur leur visage pour y mettre un œil droit.
On appelle de beaux yeux tous les yeux, pourvu qu’ils soient grands, quelles que soient leur couleur, leur forme, leur expression.
Les yeux évidemment sont du visage humain la partie la plus noble et la plus importante ; les autres traits sont matériellement formés de chair ; les yeux sont composés de corps, d’âme et d’esprit, ou plutôt les yeux sont la fenêtre où l’âme et l’esprit viennent se montrer.
Or, jusqu’à ce qu’on me fasse croire qu’il n’est pas plus agréable de voir un charmant et spirituel visage à une lucarne, qu’un visage platement insignifiant, renfrogné et ridiculement affublé à travers les larges glaces d’une boutique, je n’admettrai pas que des yeux soient beaux par cela seul qu’ils sont grands ; autant dire que le plus beau livre est le plus gros, sans s’inquiéter de ce qui est dedans.
La lutte est engagée. – Les hommes veulent décidément, à leur tour, devenir le beau sexe. – Ils ont maintenant les habits brodés et les chapeaux à plumes ; et les bonnetiers, depuis que la culotte est devenue officielle, ne suffisent pas aux commandes de mollets qui leur sont faites.
Les femmes s’aperçoivent enfin de leur imprudence, et nous ne sommes plus au temps où elles s’efforçaient d’imiter la simplicité du costume masculin. On voit à l’étalage de tous les marchands de nouveautés des étoffes d’une richesse à laquelle trop souvent on sacrifie le bon goût. – Quelques-unes des robes d’or que l’on exhibe ont, en effet, plutôt l’air d’être destinées à des danseuses de corde, et a des écuyères du Cirque, qu’à des femmes du monde. – De cette façon, les femmes qui n’ont pas de beauté portent dans les salons au moins de la magnificence. – Elles se rattrapent même sur l’étendue : un joli visage n’occupe qu’un espace restreint ; une belle robe doit avoir six fois en hauteur l’étendue du visage. – Mais, si vous calculez sur l’étoffe de la robe étendue, le visage ne devient qu’un point dans l’espace.
Ce n’est pas cependant que l’on néglige d’orner le visage ; je dirai même que l’on va un peu loin, et que jamais, peut-être, les femmes ne se sont peintes avec autant de hardiesse qu’aujourd’hui. – Il en est beaucoup qui sont à la fois « peintre, original et portrait. » Il faut une palette complète à la toilette d’une femme : on peint les sourcils et les cils, on allonge les yeux avec une ligne noire, on les cerne légèrement – les yeux cernés sont à la mode – avec du cobalt. Une innovation est la poudre d’or et d’argent dans les cheveux.
Le visage, ainsi peint, est comme vêtu ; et l’on pourrait dire à une femme : « Madame, déshabillez un peu votre figure, que l’on voie si vous êtes jolie. » – Tout le monde met du rouge ; et, pour montrer de la honte, de la pudeur et de la confusion, il faudrait qu’une femme devînt violette.
Si le visage est masqué et vêtu, on se rattrape au-dessous ; non-seulement on se décollète beaucoup, mais encore on attire l’attention par des mouches placées habilement fort au-dessous du visage. Cette mode est peu décente et d’assez mauvais goût. C’est pour avoir l’air d’en être honteuses que les femmes ont soin de rougir… au pinceau.
Les femmes se trompent bien lorsqu’elles croient s’embellir par l’immodestie ; elles augmentent singulièrement leurs charmes en les cachant aux yeux ; l’imagination est riche, généreuse, et leur rend libéralement au centuple tout ce qu’elles dérobent aux regards. C’est autant au bénéfice de l’amour qu’à celui de la pudeur qu’ont été inventés et les vêtements et peut-être la pudeur elle-même. Plutarque parle d’un temple élevé à Vénus voilée. «On ne saurait, dit-il, entourer cette déesse de trop de mystères, d’ombres et d’obscurité ! »
Il y a une chose dont il serait dangereux que les femmes s’aperçussent, – c’est qu’il n’est pas d’amants aussi aimables que ceux qu’elles rendent malheureux.
Rien de trompeur comme les dictionnaires. Ouvrez celui que vous voudrez au mot : Propre ; vous trouverez : Net. Il vous semblera, en conséquence, que, pour être propre, il ne faut que de l’eau et un peu de savon.
J’entendais hier une femme répondre à son mari, qui lui reprochait avec quelque amertume ses dépenses excessives : « Il faut bien être propre. »
C’est pourquoi elle avait acheté, la semaine précédente, un cachemire de cinq mille francs ; et elle exigeait hier des diamants, sans quoi elle ne se trouvait pas « propre. »
Quand une femme, sa toilette finie, va sortir et qu’elle dit à sa femme de chambre : « Suis-je propre ? » la réponse la plus modérée qu’elle attende est celle-ci : « Madame est ravissante. »