Presque toutes les actrices aujourd’hui sont mariées, ou ont envie de se marier. Au point de vue des plaisirs du public, cette manie a divers inconvénients. Les unes ne pensent qu’à tendre des gluaux aux épouseurs et oublient que le public les paye non pour les vertus qu’elles cultivent chez elles, mais pour les agréments qu’elles montrent au théâtre. Quelques-unes sont enlevées à leur profession au point le plus éclatant de leur beauté et de leur talent ; d’autres restent au théâtre, mais, dès lors, les qualités austères de l’épouse et de la mère de famille viennent obscurcir les plaisirs des spectateurs. – Une louable économie préside aux costumes et aux parures. – On craint d’alarmer la légitime jalousie d’un époux aimé, en mettant trop de feu dans les scènes d’amour jouées avec un autre, etc., etc. – En un mot, l’actrice qui se marie divorce avec le public.
J’aime encore assez les violettes, quoique je leur aie reproché, il y a longtemps déjà, de se mêler de beaucoup de choses qui ne les regardent pas, et de ne pas manquer une occasion de sortir hypocritement de la prétendue modestie qu’on leur attribue. – Je les ai complètement démasquées dans le Voyage autour de mon jardin. Aussi n’en dirai-je rien aujourd’hui sous ce rapport.
Voici de quoi il s’agit : – Je suis assez découragé de l’observation, surtout auprès des femmes. – Les verres les plus grossissants vous trompent encore à chaque instant. – Quand vous avez bien observé, quand vous avez bien rassemblé toutes les circonstances, colligé les gestes, creusé chaque parole, interpellé chaque regard, commenté jusqu’au silence, vous dites : « Voici ce que cela veut dire. » – Eh bien ! regardez un peu plus longtemps et un peu plus soigneusement, et vous serez forcé d’ajouter : « À moins que ce ne soit précisément le contraire. »
Je me rappelle un exemple de la vanité de l’observation : Un homme de ma connaissance envoie un jour un bouquet de violettes roses à une femme dont il était amoureux. – Vous ne connaissez peut-être pas les violettes roses ? – Il va le soir chez elle ; on le fait entrer dans le salon. Il voit son bouquet soigneusement placé dans un magnifique cornet de porcelaine de Chine, – avec les plus insignes honneurs qu’on puisse rendre à un bouquet.
Notre homme se réjouit du grand accueil fait à son petit présent ; il se voit encouragé ; – il est gai, spirituel, aimable pour tout le monde. Très-bien. – Pendant que l’on danse dans le salon, il se promène dans le reste de l’appartement. – Du petit salon où sont les tables de jeux, il pénètre dans la chambre à coucher de la maîtresse de la maison. – À la lueur d’une lampe d’albâtre suspendue au plafond, il voit sur une table, auprès du lit, – un autre bouquet de violettes.
Il est évident que celui-ci est encore mieux accueilli que le sien. – Cette place intime, mystérieuse, dit certes que l’on n’a été que poli pour les violettes roses.
Il rentre dans le salon ; il observe. ; il veut savoir qui a donné le second bouquet. – Un homme, un ami de la maison, parle bas à plusieurs reprises ; – plus de doute, c’est lui. – Il danse avec la belle, et, dans un moment de repos, il dit : « Je suis sûr que c’est *** qui vous a donné le bouquet qui est dans votre chambre. » – Elle rougit, ne répond pas d’abord. – Puis, après quelques hésitations, elle dit : « Et quand ce serait lui ? » C’est une de ces réponses à l’usage des femmes qui ne veulent pas répondre, dont le catalogue assez curieux commence par : Parce que…
Il se désespère. – Le résultat de ses nouvelles observations n’est pas douteux : sa flamme est méprisée, son bouquet sacrifié, etc…
Eh bien ! il se trompe encore une fois ; – il prend l’attitude ingénieuse de tout amoureux qui craint de se voir préférer un rival ; à savoir : un air boudeur, renfrogné, désagréable et stupide, – ce qui triple les avantages de l’adversaire au lieu de les contre-balancer. – Lorsqu’il s’en va, il va saluer sa cruelle beauté dans l’embrasure d’une fenêtre. – Alors elle tire de son sein trois des violettes roses et les lui donne.
Il n’avait pas deviné que madame *** avait à tromper pour lui un époux et un ancien amour qui, à force d’assiduité et d’exigences, avait fini par être seulement quelque chose comme un second mari, et conséquemment avait rendu vacante une place que l’on destinait à mon ami.
Notez que je ne sais pas la suite de l’histoire, de sorte qu’il n’est pas certain que ce soit encore là la vérité.
J’ai souvent constaté la force et la vigueur physique et morale du sexe faible ; – j’ai défié un portefaix de suivre, pendant tout un hiver, une femme qui s’amuse ; – j’ai établi que les femmes exagèrent leurs peurs comme nous exagérons notre courage, et que, grâce à leur puissante infirmité de ne voir à la fois qu’un côté des choses, elles sont en général plus résolues et plus braves que nous. Il est à remarquer aussi que c’est à ce sexe faible que la société impose de résister à ses penchants, et de les vaincre, de triompher de la nature même et de maîtriser les instincts les plus impérieux et les plus invincibles.
Les soins empressés et les adorations que les hommes prodiguent, même en public, à un certain nombre de courtisanes, qui manquent même à leur seul devoir, qui est d’être belles, sont pris sur le fond de politesse dont ils s’exemptent pour les autres femmes.
Dans un escalier, sur un trottoir, il est rare de voir un homme se ranger pour laisser à une femme qu’il rencontre, ou le côté du mur, ou le haut du pavé. – Cela est tellement vrai, que les femmes en sont devenues gauches et maladroites dans la rue et dans les escaliers. Autrefois, une femme tenait, dans la rue, le haut du pavé ; dans un escalier, le côté le plus commode, et était tellement sûre d’avance que tout homme qu’elle rencontrerait lui offrirait ou lui maintiendrait ce privilège, qu’elle le conservait sans préoccupation ; – mais aujourd’hui, à chaque instant, vous voyez les femmes hésiter, et avoir avec un homme ces moments d’embarras qui ne devraient se rencontrer tout au plus qu’entre hommes, lorsque chacun, voulant s’échapper de côté, se trouve deux ou trois fois de suite face à face avec l’homme qu’il rencontre.
Je ne sais s’il se trouve des femmes assez humbles pour expliquer cela comme fit mademoiselle de Scudéri, dans une autre circonstance : Ménage et Duperrier eurent un jour une discussion à propos de la formule qui terminait une lettre adressée au dernier par une femme : – Votre très-humble et très-obéissante servante. Tous deux tombèrent d’accord qu’il n’était conforme ni à l’usage, ni au bon ton, qu’une femme écrivit ainsi a un homme, – et allèrent consulter mademoiselle de Scudéri. « Il est vrai, dit-elle, qu’on n’écrivait pas ainsi autrefois ; mais les femmes ne doivent plus être si fières, depuis qu’elles ne sont plus si vertueuses. »
Une femme se fait annoncer chez un magistrat. Il est fort occupé ; mais elle insiste. Le magistrat repousse les papiers qui encombrent son bureau, et ordonne de l’introduire. Il repasse dans son esprit les diverses causes qu’il a à juger, et il cherche à deviner à laquelle se rapporte cette visite. – On entre : c’est une jeune et belle personne, qui s’excuse de son importunité avec des paroles douces et distinguées, et un organe mélodieux ; puis elle parle des occupations, des devoirs sérieux, terribles même, de la magistrature.
Pendant ce temps, le magistrat s’adresse à lui-même les discours les plus austères : « Non, se dit-il, je ne ferai aucune concession à la beauté, ni à ses charmes si doux, si décevants. Je saurai tenir mon âme fermée à ces accents qui veulent s’y introduire. – Non, je ne perdrai pas de vue la sainteté de mon ministère, la rigueur de mes devoirs. – Non, rien ne me fera dévier de la ligne étroite du vrai et du juste !»
La visiteuse, cependant, fait défiler successivement ses mines les plus victorieuses ; elle joue du regard comme elle joue de la voix. – Elle demande au magistrat s’il est allé au dernier bal de l’Hôtel de ville, – s’il a entendu mademoiselle Cruvelli, etc.
En toute autre circonstance, il se fâcherait ; mais cette voix est si douce, il craint tant de lui entendre demander des choses contraires à ses devoirs, des choses auxquelles il faudra répondre avec cette voix sèche qui refuse, – il la laisse parler, mais il continue à s’adresser à lui-même les admonitions les plus correctes.
« Non, dit-il, je n’oublierai pas que je suis le tuteur de la société et l’organe de la loi. – L’histoire a cité comme un crime insolent le fer de Brennus mis dans une balance ; laisserais-je un sourire de femme faire fléchir la balance de la justice de tout son poids ? L’histoire de Cambyse, qui fit couvrir de la peau d’un juge injuste le siège sur lequel devait s’asseoir son successeur, n’a jamais été citée comme une cruauté, mais seulement comme une justice sévère. – L’injustice de la part d’un juge est le plus grand crime qu’il soit donné à l’homme de commettre. »
La visiteuse avance sur les chenets le plus étroit, le plus cambré des pieds, – et elle dit au magistrat : «Je pourrais me recommander de M. ***, qui est votre ami, et qui veut bien être le mien, et de M. ***, et de M. ***. »
Et le juge se dit : « Cependant, évitons l’excès. Ce n’est pas à dire, parce que cette femme est belle, et parce qu’elle a la voix douce, et parce qu’elle a le pied mignon, que le bon droit ne soit pas de son côté. Il ne faut pas non plus que l’austérité m’aveugle ; la justice n’est pas seulement pour les femmes laides ; j’ai vu des gens hideux qui étaient de grands coquins. Enfin, madame, en quoi puis-je vous être agréable ?
– Voici, monsieur, en deux mots : je suis invitée à un grand bal pour après-demain ; j’ai imaginé le plus ravissant costume qu’on ait vu de l’hiver, quelque chose d’original sans affectation, du nouveau sans excentricité, quelque chose qu’on ne pourra que difficilement imiter :
« C’est, sur une robe blanche, une garniture complète de plumes de perroquet. – J’ai mis à contribution tous ceux de mes amis qui ont de ces oiseaux ; j’ai fait plumer tous ceux des marchands ; mais chaque oiseau n’a que quelques-unes des plumes qu’il me faut. – Je sais que vous avez un ara magnifique ; – je vous en prie, monsieur, ne me refusez pas trois de ses plumes, sans lesquelles ma garniture sera incomplète, sans lesquelles tant de peines seront perdues, sans lesquelles je n’irai pas à ce bal, sans lesquelles je mourrai de chagrin…
– Oh ! madame, s’écrie le magistrat en l’interrompant, que ne le disiez-vous tout de suite ? j’étais dans des transes ! – Jean, dit-il au domestique, qui vint au bruit de la sonnette, suivez madame, et portez chez elle le perroquet. – Elle le renverra si elle veut. »